L’éternité, brève Étienne Verhasselt

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L’instant et ses chutes, l’absurdité et ses échappées. En soixante-et-onze brèves nouvelles, d’un absurde souvent grinçant, toujours avec une discrète mélancolie amusée, Étienne Verhasselt dessine un univers singulier tout en ruptures, en dédoublements de la conscience ou de la caricature. Pris un à un, les textes de L’éternité, brève ne suscitent pas tous l’adhésion ou l’enthousiasme du lecteur. Pourtant, le recueil dans sa répétition et autres ressassements dessine une architecture flottante, une logique folle à l’attachant dérisoire.

Il faut bien le dire, la lecture de L’éternité, brève m’a empli de sentiments partagés. Si j’en ai aimé les traits estompés dont un dessin de Sempé serait une des incarnations possibles, l’arrière-fond de ce recueil – on pourrait presque en parler comme d’un roman – continue à l’heure d’en parler à m’interroger. Avouons une certaine peine à avancer dans la première partie « Caravelles, naufrages » qui se constitue dans l’invention monomaniaque d’un fragment d’un discours amoureux. La perte sous toutes ses coutures, la rupture dans tous ses ressentiments. On pourrait pinailler sur la division très genrée des rôles dans ces instantanées amoureux où l’auteur déploie toute son imagination pour en saisir toutes les immuables variations : l’homme, romantique, dissèque les sentiments ; la femme s’intéresse au mobilier. Et l’amour meurt. La prose de Verhasselt sait alors laisser surgir l’absence même si on peut regretter qu’il abuse du mécanisme de la chute. Au fond chaque nouvelle, on serait presque tenté de dire chaque poème en prose, repose sur une incompréhension narrative. L’auteur les multiplie à l’envi, jusqu’à égarer le lecteur non tant dans la virtuosité (le style a une modestie mordante, une transparence ironique très difficile à situer) mais dans ce que veut dire, in fine, le lecteur. L’absurde ? So what ? Et derrière, et après pour reprendre une des interrogations les moins incertaines de L’éternité brève.

Puis un calme absolu. La vague ultime soulève l’océan entier et une neige d’écume tombe, qui pose sur le sourire du vieil homme à l’enfant un flocon d’éternité.

Chacun de ses textes, dont la plupart nous font tangentiellement sourire, repose donc sur une incompréhension narrative. Un peu trop prétentieusement, il s’agirait de nous introduire dans la réalité d’après. Après l’amour, après la vie ou même après le texte dont le fonctionnement est sans cesse moquer ou caricaturer. Façon donc de tromper le lecteur : le ressassement, surtout amoureux, laisserait d’abord entendre une reconnaissance pseudo-autobiographique où l’auteur – comme dans les poèmes en prose – se cache derrière un Je de convention, une projection de soi dans une posture poétique. On pourrait la caricaturer ainsi : l’auteur écrit son second recueil de nouvelles pour se remettre, comme on dit, d’une rupture amoureuse. « L’amour, puis l’incompréhensible. Encore et encore. » On trompe le lecteur, on lui parle d’autre chose : réification ou personnification, chaque nouvelle s’effondre sur les suites de l’enthousiasme. Certaines s’essayent au cynisme (les riches – femmes comme de bien entendu – qui miment la perte prolétarienne ou payent pour revivent le naufrage du Titanic sans parler de « Sainte Famille » ou le misérabilisme est volontairement vulgairement pastiché), d’autres au comique troupier (les noms de personnages s’y révèlent des jeux de mots tellement mauvais que certains, avant de navrer, nous échappent), d’autres nettement plus réussies s’élèvent d’un réel qui advient dans sa brisure. Un certain surréalisme, un peu désuet, risiblement quotidien et intimement humain dans sa capacité à révéler nos failles se dégage des histoires éclairées par un fantastique quasi burlesque. On pense parfois à Sternberg pour cet humour désespéré, pour ce glissement dans un autre univers par un mot. Un canard sait tout apprendre mais achoppe sur la seule question qui vaille : pourquoi l’amour ne survit pas ; un homme poursuit un collègue de bureaux dont la femme chaque soir, nue, est différente ; on vit comment quand on est mort ou quand – c’est comme si – on ne pense qu’au suicide. Notre vie serait celle de fantômes, d’escargot inabouti en attente d’une carapace.

Sur un ton inspiré – toujours – et profondément pénétré – toujours -, nous confierons que notre dernier ouvrage traite du séisme intérieur qui fait basculer du « J’aime » dans le « Je n’aime plus ». Une écriture au bord du précipice. {…} Et il faut tenir un peu, comme si on avait à dire des choses transcendantes. {…} Vous remplirez un peu avec du charabia du cœur plein de remous. Le lecteur se dira que vous savez si bien ne pas savoir, que vous ne savez pas mais avec tant d’art et il en conclura que, au fond, vous savez. Vous lui vendrez du vent, mais tout ce qu’il demande, n’est-ce pas de changer d’air ?

Bien sûr, la construction des nouvelles finit par elle-même se révéler un piège, au répétition thématique l’auteur adjoint des dédoublements. L’auteur et ses doubles comme manière de caricaturer le propos que l’on pourrait lui imputer. La vraie question de L’éternité, brève devient alors : l’auteur a-t-il autre chose à dire qu’un instant d’enchantement ? La nouvelle « Réflex », dont est issue ma trop longue citation, éclaire le propos d’une ultime pirouette, d’une absurde justification. Un auteur est persécuté par un imposteur qui lui pique toutes ses idées, le moindre de ses titres et offre ainsi un faux commentaire à L’éternité, brève. Il m’a toujours semblé trop facile pour un écrivain de prétendre mal écrire, de le faire pour être à la place d’un de ses personnages dont il caricature les pensées. Je pense ici, notamment à 7 de Tristan Garcia. Il faudrait, sans doute prendre Étienne Verhasselt au millième degré comme le veut se double moqueur, prendre au sérieux qu’une partie de ses nouvelles ne sont que des pastiches, du vide. Une hypothèse inimaginable, une vision réussie de l’absurde que nous suggère L’éternité, brève. Alors, tout ne marche pas et contrairement à ce qu’affirme l’auteur dans un prologue en forme de dialogue (sa posture sera toujours un moqueur dédoublement) ces nouvelles « y compris les plus farfelues » sont parfois gratuites et ce pour distiller les frasques continuelles du plus grand foutoir de l’univers : l’être humain. » Étienne Verhasselt pousse l’absence de sens de la vie humaine jusqu’à parodier des récits qui joueraient, donneraient à voir c’est tout un, son absence.



Merci aux éditions du Tripode pour l’envoi de ce livre.

L’éternité, brève (297 pages, 22 euros)

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