La septième croix Anna Seghers

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Superbe roman choral sur l’opiniâtre et tacite résistance de l’être ici, d’une communauté saisie dans son ensemble, de sa consistance dédoublée de rêves et de dure réalité. Renseignée mais sans la moindre pesanteur, Anna Seghers touche aux faiblesses magnifiques des humains, alerte sa prose touche leur espoir, complaisance et endormissement, mais surtout, dans un minuscule geste, leur capacité à s’extraire de l’ordre des choses. On ne peut empêcher la publication de ce roman, publié pour la première fois en 1939, d’entrer dans une résonance avec le contexte actuel. On ressasse à l’envi l’ombre des années 30, une ressemblance un peu arbitraire avec les insidieux glissements et autres pertes de liberté (des flics dans les facs et les lycées, la montée impunie des violences policières…) actuellement connue. Disons une alerte plutôt qu’une similitude. Pendant que nous regardions ailleurs, le fascisme pas à pas, renoncement populaire après renoncement populaire s’est installée. La vieille Europe devrait en trembler encore. Désolé pour ce ton vaguement moralisateur. Disons seulement un des échos au présent si fortement porté par La septième croix : on est là. Le slogan résonne dans toutes les manifestations, avec un espoir peut-être naïf on pourrait croire qu’il crée un de ses réseaux de solidarité pour le pire toujours à venir. Anna Seghers décrit parfaitement dans son roman la manière dont remontent les engagements d’hier. La Résistance est aussi une question de réseau. Fichte, les manifestations et les tracts, la conscience ouvrière, les spartakistes, une certaine solidarité clandestine des marins. Il faut souligner la précision avec laquelle La septième croix restitue cet autrefois, son enthousiasme et surtout son exil. Il ne s’agit aucunement pour l’autrice de rendre compte d’un contexte mais, plus humainement, avec une sensibilité vraie donc, la manière dont chacun parvient à habiter son ici, comment il le constitue et le peuple. Rarement le roman, sans ennui ni mépris, ne parvient à dessiner le contour de l’ordinaire, ses arrangements et ses réticences. Nous n’aurons pas d’héroïsme, pas de cynisme non plus, rien que des gestes et des réactions, toujours compréhensibles, souvent excusables. Au fond, nous ne faisons pas mieux. Peut-être est-cela le seul rappel à une sempiternelle actualité.

Sans doute une vie ordinaire avec les combats ordinaires pour le pain et les chaussettes des enfants. Mais une vie forte, hardie aussi, participant dans son ardeur à ce qui valait d’être vécue.

La sensation d’être ici serait de vivre ce qui le vaut, un peu au hasard comme dans un rêve ou dans un étrange surplus de réalité. L’exil n’est jamais loin du sentiment de réalité. Anna Seghers, en France, l’illustre mieux que personne. Son roman raconte l’évasion de sept prisonniers, il entremêle le récit et le quotidien de tous les personnages qui agiront pour lui. Avec un vrai sens du récit, sans jamais perdre le lecteur ces interruptions donnent rythme et tensions, à ce qui n’est jamais seulement un témoignage. Oppressant à l’évidence, la vie dans les camps, l’horreur et la torture, l’absence d’espoir et la peur de ce devenir qui se diffuse, suspend les quotidiens, serait censée empêcher une solidarité qui renaît. Une sorte de fidélité à soi, un regard complice qui s’échange et se retrouve. Deux anciens amis, séparés par la peur se retrouvent en un regard, dans le refus de la dénonciation. En dépit de l’horreur, il est un vrai enthousiasme, une fois dans la possibilité que malgré tout, avec tout ce qui viendra, le fugitif ne sera pas repris, que les individualités formeront quand même une communauté. Un rêve bien sûr. C’est d’ailleurs un des très beaux thèmes du roman, une sorte de doublure par le rêve. Quand on s’échappe d’un camps, le quotidien est un rêve, une sorte de recomposition aussi inatteignable comme l’était sans doute l’Allemagne pour l’autrice exilée. Georg, le septième fugitif voit sa fuite comme dans un rêve, il est confondu par avec l’un de ses doubles. La septième croix échappe ainsi à la platitude d’un réalisme engagé. « La peur, c’est quand une certaine représentation commence à croître sans mesure en recouvrant tout le reste. » Mais l’amitié subsiste et le roman, dans la distance entre les être que jamais il n’ignore, parvient à la chanter comme ce résidu de beauté qui fait les grands romans.



Merci aux éditions Métaillié pour l’envoi de ce grand roman.

La septième croix (trad : Français Toraille, postface de Christa Wolf, 440 pages, 22 euros)

2 commentaires sur « La septième croix Anna Seghers »

  1. Belle idée de cette nouvelle traduction d’un chef-d’oeuvre (allemand) dont l’analyse (au scalpel) au lycée – son écriture (en allemand) est sublime. Et n’en parlons pas de la « moral ». Le film avec Spencer Tracy reste des km lumières derrière…

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    1. Je ne peux juger de la traduction : elle rend en tout cas l’évidence et la fluidité de la situation, son horreur et ses très belles solidarités. Je ne savais pas que c’était un « classique » et ne connaît pas du tout le film.

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