Or, encens et poussière Valerio Varesi

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Mécanisme de la fidélité, dilemmes moraux de nos dissimulations. Le retour du commissaire Soneri est marqué par les coïncidences et leurs effondrements. Tel un taureau dans le bassa, le brouillard de la pleine du Pô, le commissaire erre, avec – hélas – son habituelle nostalgie, en quête de son minotaure. Avec sa prose  si limpide et littéraire, son art du dialogue, Valerio Varesi excelle une fois de plus à faire du polar un exercice équilibriste de moral.

Dans Les mains vides, l’auteur semblait se laisser prendre à une nostalgie de mauvaise aloi, presque caricaturale de peu s’incarner dans le regret d’un avant trop théorique pour être vraiment crédible. Le « c’était mieux avant » est, certes, un passage obligé du polar, une explication à la lucide lassitude de son enquêteur. Il ressurgit ici, rarement heureusement, dans le regret d’un Parme gouailleur et populaire, qui ne se laisserait pas prendre aux hypocrisies politiques et à ses parangons d’une ostensible vertu. Depuis 2007, date de publication de ce livre, rien n’a changé, je crois, j’espère. Les quartiers populaires ce sont, j’imagine, juste déplacés, excentrés de nos métropoles touristiques. À Parme aussi. Les mains vides accentuait désagréablement, à mon sens, un prétendu code d’honneur des truands et autres balivernes. Or, encens et poussière s’inscrit plus clairement dans son époque. Sans pour autant en méconnaître ce qu’elle a d’incompréhensible et d’insupportable.

aujourd’hui, on ne possède rien, la moitié de notre vie est derrière nous et nos petits désespoirs nous tiennent par les couilles.

Valerio Varesi emprunte ici une structure classique qui fonctionne à merveilles : la vie du flic se reflète dans son enquête, une manière de circonvenir tous les aspects d’un dilemme moraux. « Fréquenter les délinquants te fait comprendre l’humanité.»  Soneri n’est pas à son mieux, Angela hésite à le quitter, à poursuivre son aventure avec un autre homme. Il enquêtera sur une jeune roumaine qui fait tourner la tête aux hommes, s’illusionnera sur son honnêteté, son enquête le confrontera  aussi à cette fidélité conjugale au nom de principes religieux d’une cheffe d’entreprise à la fortune aussi suspecte que son mariage d’apparences. L’enquête policière est assez admirablement menée, l’intérêt du livre est ailleurs. Valerio Varesi le sait, la morale est avant tout une confrontation à l’impossible de nos désirs.

J’ai découvert que tout ce que nous enviaient les autres, c’est ce qui nous condamnait

Comme avec le joueur d’accordéon des Mains vides, l’auteur excelle à inventer des personnages secondaires qui viennent mettre en dialogue les propos de ce fin moraliste. Ici, nous découvrons avec plaisir Sbarrazza, un aristocrate déchu, condamné à manger les restes des restaurants. Nous en sommes tous là, suggère le romancier ; on accommode des restes, on leur imagine une certaine conformité avec nos désirs. L’aristocrate compose avec les apparences, s’imagine partager son repas avec les plus belles femmes. Lecteur et auteur ne font pas mieux. Soneri, avec son besoin de solidité « dans un monde de plus en plus liquide »  et il ne rencontre que de la brume. « Les impressions sont importantes quand tout vous semble inexplicable. » L’affaire sera résolue à l’aveugle, par une série de coïncidences mais aussi par cette sorte de solidité, d’empathie de capacité à se mettre en colère, à se tromper, qui séduisent Angela et le lecteur. Soneri c’est aussi l’usure de l’idéalisme, ses sursauts. Dans son brouillard quasi métaphysique, l’inspecteur se réconforte par la gastronomie, par sa dénonciation de cette hypocrisie sociale dont l’auteur sait si bien saisir les ressorts.

Un accident sur une autoroute, la stigmatisation des Rroms. Or, encens et poussière plonge dans la vie des camps. Un monde en miniature où le mal se repartit pas mieux qu’ailleurs. « Ils reconstruisent un peu de leur vie avant de se séparer. » Valerio Varesi sait créer des personnages, de bons interlocuteurs pour faire avancer l’intrigue. Travaillant le motif de la fidélité, et du désir du nous-même qu’elle trahit, Sonerie interroge Medioli, un mec en cavale depuis vingt piges après avoir tué sa femme. Il se promène dans ce monde en marge. Une façon pour le romancier de ne sombrer ni dans le misérabilisme ni dans l’angélisme. Et, nous on se laisse prendre.



Merci aux éditions Agullo pour l’envoi de ce roman.

Or, encens et poussière (trad : Florence Rigollet, 297 pages, 21 euros 50)

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