Le Roi absent Moetai Brotherson

Les signes et leurs récits, le passé qui hante ce joli roman d’initiation par des trouées de fantastiques, de transes aux hallucinations toujours possiblement pathologiques. Au-delà de Vaki puis de la possible usurpation de son histoire et l’appropriation de ses fantômes, Le roi absent brille par sa précision langagière qui parvient à nous restituer la saveur des langues polynésienne mais aussi par la précision de ses elliptiques allusions aux événements historiques. Un grand roman sur ce que serait, entre magie et émancipation, une contre-narration de la Polynésie française.

Il est important de saluer ici le travail éditorial de Au vent des îles, une superbe maison d’édition basée à Tahiti. Après Maunteen, après le très drôle Le patriarche, je découvre avec un immense plaisir Le roi absent. Là encore, il ne s’agit aucunement de mettre en avant le pittoresque d’un exotisme de mauvais ton. Sous une prose d’abord d’une apparence modeste, qui semble d’ailleurs parfois un rien trop explicative, Moetai Brotherson embarque le lecteur dans un très beau récit d’initiation. On pourrait presque hasarder un rapprochement avec un Dickens polynésien. Ou plutôt, comme ne cesse de le faire Le roi absent, remonter un peu la généalogie pour souligner à quel point Vaki paraît un personnage de roman picaresque. Une vie dite normale qui pourtant ne cesse, tel un vertige destructeur, jamais vraiment de sombrer dans l’aventureuse. L’auteur parvient parfaitement à nous transmettre les incompréhensions de Vaki qui s’exprime à la première personne. Il parvient ainsi à éluder la réalité, à ne pas trop nous montrer, trop tôt surtout, que les perceptions de son personnage sont partiales. Vaki est muet, peu réceptif aux émotions et surtout sujet à d’étranges crises.

Par l’intrusion de ces contre-narrations le récit va prendre son envol, donner toute sa perspective à ce roman d’initiation qui devient un récit, toujours plus ou moins mythique, d’émancipation. Insidieusement, dans une belle dramaturgie, Moetai Brotherson y révèle toute la puissance de sa prose. Son aspect fantastique force le lecteur à se faire son avis sur ce qui ne pourrait être que des crises plus ou moins schizoïdes ou alors la lecture rassurante, sans doute trop pragmatique, qu’en donnerait un psychiatre. Dès qu’il fume boit ou baise, Vaki entend des tambours, des prémonitions d’un passé mythologique. Chacune de ses manifestations aura de fâcheuses conséquences sur sa vie. Manière pour l’auteur de donner un virage différent à son récit et de donner à voir beaucoup des aspects de la Polynésie. Vaki est accepté à Louis-le-grand, devient un champion d’échec, se demande comment programmer une machine qui apprendrait à jouer comme lui-même et à la battre. On peut bien sûr y lire les méandres d’une lutte contre la maladie mentale. Dans ses représentations un rien trop stéréotypées, on la sait souvent symptôme d’un cerveau trop brillant.

Qu’importe, peut-être, la véracité de ses hallucinations : l’important est le récit gigogne qu’elle dessine. Les mythes présentent de singulières similitudes, beaucoup attendent le retour d’un roi aux origines mêlées. Le roi absent dessine alors une histoire de mères abusées, fortes. Vaki se croit l’héritier de cette tradition ou peut-être s’en réclame pour donner un peu de sens à son existence erratique. On laissera au lecteur le plaisir de découvrir la seconde partie du récit, la voix du psychiatre et son appropriation du récit, son lent glissement dans la croyance aux fantômes qui donne à ce beau roman une autre épaisseur d’incertitude. Il faut en tout cas lire Le roi absent qui se révèle une lecture plaisante et intelligente.


Un grand merci au Vent des îles pour l’envoi de ce roman.

Le roi absent (441pages, 19 euros)

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