Mort aux girafes Pierre Demarty

Une longue phrase interrogative, un télescopage d’anecdotes, de digressions, d’enquêtes et de malentendus, de dérivations de sens et de sons. Derrière la virtuosité du comique langagier, Pierre Marty interroge les aléas et autres hasards sur lesquels reposent nos existences. Mort aux girafes : une drôle et hasardeuse critique des attendus du récit.

Après L’enfer de Dante mis en vulgaire parlure, Mort aux girafes est un roman qui interroge non tant ce que je trouve dans un livre que ce que je souhaite y trouver. Le comique se suffit-il à lui-même, la satire ne finit-elle pas dans la complaisance, les runings gags dans l’automatisme, pour être apprécié un roman doit-il être animé d’une intime motivation, d’une constante présence de l’auteur ? Sans doute un roman ne doit-il rien faire, encore moins apporter de réponse. Peut-être, cependant, existe-t-il quand il propose une certaine vision du monde, une façon singulière de le dire. On peut alors penser que le style de Pierre Demarty procède de la fausse alternative et du rapprochement trompeur. L’auteur manie le zeugme avec un vrai plaisir, il s’amuse à inverser les prédicats pour préciser, comiquement, l’impossibilité de les associer. Un seul exemple pour être moins mal compris : « mais qui n’a de fait pas accueilli notre idée de girafe certes un rien saugrenue (l’idée pas la girafe)» Le style comme façon de déstabiliser le sens, de l’emporter toujours ailleurs. Mots et noms ont dans Mort aux girafes toujours un double sens, ils recèlent la possibilité d’une autre interprétation. Peut-être même la nécessité tant se cache dans ce roman une joyeuse tristesse, un détachement aussi hélas à contempler des destins ordinairement malheureux. Pour poursuivre sur un aperçu du style de Pierre Demarty, sans doute faut-il en évoquer la tension vers un intemporel dans un rire un rien suranné. Peut-être d’ailleurs pour renforcer l’impression d’irréalité, de sautillante légèreté qui caractérise ce roman de l’apparente libre association d’idées qui sait nous passionner pour les détails les plus divers, l’érudition la plus farfelue, l’imagination la plus folle.

Mort aux girafes c’est l’histoire d’un suicidé, à Bar-le-Duc dont nous ne méconnaîtrons pas grand-chose de l’Histoire, avec le mauvais nom, d’un détective qui change de nom, d’enveloppes identiques qu’il faudrait trouver, c’est surtout la science de l’ellipse par laquelle l’auteur évite tous les passages attendus du roman. Frédéric Berthet est retrouvé pendu ; facilement on pourrait le prendre pour un autre. Tout le roman tient à ce genre de fautives identifications. On pourrait confondre le personnage avec l’auteur éponyme. Pierre Demarty parvient ainsi à nous parler finement du « vrai » Fréderic Berthet, de l’univers de la critique littéraire. Là encore en ne cessant de changer les noms de ceux qui la pratiquent. On ne saura jamais, comment le pourrait-on, les raisons de ce suicide. L’auteur préfère nous entraîner dans le récit de celui qui pourrait, aurait dû, le poursuivre. Yvon Castropage, catastrophique bibliothécaire, devient détective, un mystérieux commanditaire lui intime de retrouver un certain Fréderic Berthet. Nous ne saurons rien de ses aventures, tout par contre de la manière dont l’auteur ne les racontent pas, laisse chaque mot en évoquer un autre. Peut-être touche-t-on d’ailleurs ici aux limites du comique, voire du propos même de l’auteur. Au fond, on peut penser que Pierre Demarty met en jeu les codes du roman, les clichés alors sur lesquels reposent le comique. On peut trouver une vague lourdeur ethnique sur les références aux islandais, serbes et sri-lankais. Il faut quand même bien avouer qu’on se laisse prendre à ses blagues toujours au seuil du mauvais goût. Sans doute faut-il saluer un roman qui fait le pari de la légèreté, ne prétend dénoncer rien d’autres que les codes du récit et sait, se faisant, emporter le lecteur dans sa très haute fantaisie. Amusons-nous « comme s’il y avait de quoi sourire, comme si la vie méritait d’être vécue, alors que bon, franchement ? »


Un grand merci au Tripode pour l’envoi de ce roman.

Mort aux girafes (194 pages, 17 euros)

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