Violence(s) Paule Andrau

L’état de femme dans ses silences, ses tacites acceptations comme autant d’acceptations tues, de douleurs et de béances face au vide du quotidien auxquelles Paule Andrau donne voix. Livre assez oppressant, tendu dans une écriture qui laisse entendre le ressassement et le désespoir de trois femmes captives (sans soumission) de leur condition, de leur quotidien, Violence(s) est un livre sans fard, sur l’intime, son usure et ses désillusions. La vie dans ses contondantes vacuités.

Il me semble qu’un bon livre dépasse toujours son sujet, outrepasse la singularité de ses personnages, interroge la manière dont une individualité compose avec ses déterminismes. À ce titre, Violence(s) est un pari réussi. Comme son titre l’indique, il traite d’une violence tout à la fois singulière et plurielle, unique pour celle qui la subit mais collective tant ses prétendus motifs se ressemblent, tant malgré tout elle n’a qu’un nom : la domination masculine. La violence que met en lumière Paule Andrau n’est alors pas seulement celle des faits divers, des cas extrêmes. Beaucoup plus dérangeant, l’autrice met en lumière l’acceptation, souvent suicidaire ou destructrice, de cette violence pour le moins latente. Il s’agit alors de lui trouver un mode d’expression pour unir ces paroles singulières et pointer leur ressemblance sans néanmoins les confondre. J’aime assez que Violence(s) laisse une place d’opacité, de ressassement, dans la manière dont il agence les fragments de parole de trois femmes. Avec des lettres (X, Y, Z) combinées différemment, Paule Andrau alterne et mélange les paroles de ces femmes qui sont tour à tour monologue et observation de leur action. Ce permanent passage du je au elle illustre alors sa volonté d’écouter une difficile verbalisation.

la vie ça bouge tout le temps, ça ne peut se saisir et quand on a mis si longtemps à se tirer le portrait, à cadrer un plan d’ensemble, la vie elle a foutu le camps ailleurs. Et tout ce qu’on s’est efforcé de composer c’est mort.

Soyons clair : Violences(s) est un livre difficile, souvent étouffant. Avouons avoir parfois observé des pauses dans la lecture tant son âpre constant paraît déprimant. Pas évident d’affronter sans fard nos résignations, les rêves qu’on a pu le courage de faire, les illusions sur lesquelles on laisse reposer le quotidien quand on s’efforce de le voir comme un projet. Difficile peut-être mais il faut aussi accepter que la part de rêve, d’enchantement et de séduction repose en grande partie sur les femmes, l’invisibilisation de leur travail reproductif comme on dit je crois. Résignation et haine de soi, la violence de ce que l’autrice nomme l’état de femme. Elle nous en donnera trois visages : une femme au bonheur arrêté dans son projet, une autre qui subit son mari grabataire et une dernière qui noie dans l’alcool la richesse de ses amours perdues. On devine des points de concordances, un accueil à l’hôpital, un endroit où écouter la variété de la souffrance. À ces trois monologues, réussis dans leur façon de toucher la reprise du silence et la permanence d’un cri tu, Paule Andrau ajoute d’autres paroles, un autre archipel de souffrance. Lien tacite entre toutes ces paroles, la place de l’homme et l’imposition de ses désirs. La vraie violence, celle difficile à supporter, est alors celle d’un vertige, de tout le vide de la vie de ses femmes que le livre parvient à approcher. Fragile, la fin apporte une ombre d’espoir indispensable à ce livre qui jamais ne sombre dans l’acceptation. Il faut alors dire un mot de la réussite stylistique de ce roman. L’écriture de Paule Andrau cerne au plus près cette tension du silence, l’aveu qui déborde de soudain surgir, la distance aussi de toujours faire de ces femmes des héroïnes. S’attendrir sur elle serait une autre façon de taire leur douleur.


Un grand merci aux éditions Maurice Nadeau pour l’envoi de ce livre.

Violence(s) (189 pages, 18 euros)

4 commentaires sur « Violence(s) Paule Andrau »

  1. Merci à cet être attentif qui a lu Vi♀️lences(s) en étant sensible aux moindres intonations d’un texte qui fut aussi dur à écrire qu’à porter. Merci d’avoir su rendre son orchestration. C’est un honneur et une grande grâce que d’être lue par vous.
    L’auteur sera au Festival des vignes et des livres organisé par les Editions Maurice Nadeau les 25 et 26 septembre aux Arènes de Lutèce.

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