Le livre de toutes les intentions Marin Malaicu-Hondrari

Le suicide, la littérature : mouvements de vie ; du café et des clopes, du rêve et de l’errance : les intentions et leur l’écriture. Road-trip existentiel, ode au pouvoir de la littérature, aux fantômes qui nous constitue, réflexions sur la dernière extrémité du suicide, Le livres de toutes les intentions offre tout ceci au rythme d’une prose rieuse, érudite, dépouillée jusque dans cette vérité trouvée dans les accommodements de la fiction. Marin Malaicu-Hondrari ou la traversée, par appropriation, du mythe de l’écrivain, entre fantôme et fantasme, une brillante réinvention.

La première chose à dire pour évoquer ce livre serait de parvenir à restituer son rythme, disons son beat pour le placer dans un contexte culturel auquel l’auteur me paraît emprunté indirectement. Il est je trouve, à l’oreille (je l’ai fort mauvaise) une magnifique urgence, un appel de l’ailleurs, de la route, qui font écho à la beat generation. De la littérature comme un hurlement à la Ginsberg, la restitution immobile en un rouleau des saccades de la route en contre-coup à ceux de la machine à écrire de Kerouac. Un phrasé, un toucher. Un déguisement sans doute surtout. L’auteur écrit à la main, écoute du Mozart, erre dans sa Lexus empruntée comme toutes les multiples références empruntées de ce roman. On pense, pour le décor andalou et la sauvegarde de l’imaginaire au Jarmusch de Limits of control et, pour l’élégance du plan et des apparitions, bien sûr à celui de Cofee and cigarets. Au fond d’une caravane, aux confins de l’Andalousie, un type boit du café, fume clope sur clope, en regarde les volutes, imagine les présences de ceux qui se sont volontairement et définitivement absentés.

Commettre, ingurgiter et régurgiter, déféquer et masturber de la littérature. Dormir au sommeil des livres.

La vie, quoi. Pour tenter d’approcher ce livre qui aime à se soustraire, emprunter d’autres routes, on pourrait se demander si Marin Malaicu-Hondrari ne cherche pas à questionner l’intention derrière tout usage du langage. Ou peut-être – ce serait déjà énorme – en préserver l’exaltation, la pureté, voire la naïveté. C’est sans doute l’aspect le plus réussi de ce roman : derrière les déguisements, les emprunts, les récits de destins exemplaires (au sens donné par Vila-Matas dans Suicides exemplaires), l’auteur parvient à restituer l’enthousiasme, la foi plénière, dans l’écriture. Un livre plein de vie pour donner à sentir les ombres de la mort. À moins que ce ne soit l’inverse. Le roman c’est peut-être de tenter de se constituer une conception particulière de la vie. Ici cela passe par l’épreuve des emprunts. Impossible de ne pas penser à Vila-Matas, à ses fictions déclinées autour d’un art certain de la citation. Écrire comme hommage à nos fantômes, invention aussi d’un contre-modèle. Le narrateur se raconte hanté par les auteurs suicidés, par la façon dont il aurait atteint le point terminal de l’expression, suprême lassitude de soi dans son corps. Hommage alors vibrant tant l’auteur en fait un instant de confusion entre rêve et réalité, intentions de ce qu’il veut écrire et le résultat, ce que le lecteur pourrait lire. Absolue fixation jusqu’à altérer la fragile réalité de ce que vit le narrateur. On entre dans un autre régime de réalité : obsédantes volutes de fumées. Sylvia Plath, Leopoldo Lugones, Horocia Quiroga, Virginia Woolf, Cesare Pavese, Guy Debord. Cohorte de suicidé de la société, écrivains, qui sait, d’une oeuvre totale. Assez délicatement, Le livre de toutes les intentions confronte son narrateur à cette réalité du suicide dont il n’ausculte que le mythe, peut-être d’ailleurs pour mieux prétendre en être détaché. L’intrigue première de tout roman tient peut-être non à la confrontation à la réalité mais à la contamination de nos fantasmes avec ceux d’autrui, un partage de réalité par l’antagonisme de deux conceptions.

Quand je n’écris pas, tout est ruse et mensonge , tant que j’écris tout est jeu de l’esprit et vérité. Tout est aussi simple que ça.

La vérité de ce que nous sommes, la difficulté d’être, tous nos « indésirs » selon le beau néologisme (occasion de souligner la précision sonore de la traduction de Laure Hinckel) de l’auteur, ne se contente alors pas des faits « non parce qu’ils seraient non conformes à la réalité (les faits ce sont passés comme ça) mais pour les conformer à mon écriture, au livre que je rêve d’écrire. » Écrire un livre sur les suicidés deviendrait leur trouver des coïncidences, des incarnations, une façon de les reconnaître dans les faits passés donc au laminoir de l’écriture. Faire de la fiction à partir de la reconstitution d’existences tragiques, belles sans doute. Le narrateur finit par reconnaître partout, dans le moindre visage de rêve, dans les chiens qu’il garde dans un chenil halluciné. Alors, Le livre des intentions restera une création de l’ombre, un chef-d’œuvre d’être demeurer dans la perfection de ses intentions, la perfection des livres non-écrits, ratés, demeurer à l’état de projet comme pour ne pas suspendre l’explication du geste ultime du suicide. Le seul passage que le narrateur nous livre de son livre exemplaire correspond précisément aux lettres laissées, parfois, par les suicidés. Des mots bien sûr qu’il ne parvient pas à écrire. Tout à son rythme, ce bref roman, au-delà de mes analyses complexes jusqu’à la confusion, les ombres qui accompagnent l’auteur ce sont celles de la croyance dans l’écriture. Marin Mlaicu-Hondrari parvient alors à signer un livre qui ne soit pas déceptif. Justement parce qu’elle est très référencée, l’errance de son personnage que ce soit dans sa Lexus ou dans ce chenil suicidaire devient vérité, description au vol d’une plongée dans ce contact différenciée et distanciée à soi que serait, qui sait, l’écriture.


Gratitudes à Inculte pour l’envoi de ce roman
Le livres de toutes les intentions (trad : Laure Hinckel, 100 pages, 12euros 90)

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