Enfant de toutes les nations Buru Quartet II Pramoyeda Ananta Toer

Suite des aventures de Minke dont la révélation de la naïveté, sa lente prise de contact avec son pays au-delà de son éducation européenne, permet une belle description de l’Indonésie, de sa place dans le monde et de l’infernale importance de l’industrie sucrière criminelle. Par ce récit, d’abord conçu et raconté lors de son emprisonnement, Pramoedya Ananta Toer parvient à laisser entendre toute la complexité de la naissance d’une lutte pour l’indépendance.

Dans ce deuxième volume du Buru Quartet, cette tétralogie conçue dans le bagne de Buru, l’auteur éclaire le contexte plutôt compliqué de l’Indonésie au tout début du XX siècle. On peut parfois penser qu’il le fait d’une manière un peu didactique, voire que les intrusions de la lecture des journaux par son narrateur sert de prétexte à de longs exposés sur une situation mondiale en pleine mutation. Mais sans doute est-ce pour entrer en fusion avec l’incertitude du point de vue de son narrateur : Minke hésite encore entre journalisme et fiction ; du fond de sa prison Pramoeyda Ananta Toer se demande lui aussi quelle parole sera la plus porteuse pour son implacable dénonciation. Enfants de tous les pays est indéniablement un roman à thèse, mais l’auteur parvient à s’écarter du manichéisme ou de l’angélisme. Comme dans le premier volume, Le Monde des hommes, on se laisse prendre à la lente révélation des aveuglements de Minke.

Un bon écrivain, monsieur Minke, doit pouvoir apporter à son lecteur une joie qui ne soit pas factice, la confiance dans la beauté de la vie.

La souffrance et sa distance. Enfant de toutes les nations revient sur les tragiques conséquences de la lente expropriation de Nyai, la belle-mère de Minke. Le pouvoir colonial ne reconnaît pas son mariage, ses enfants passent sous la tutelle du fils aîné. La femme de Minke, meurt. Mais cette triste histoire est déjà racontée, le deuxième tome raconte plutôt la place du Sucre dans les Indes néerlandaises. Le roman touche vraiment quand Minke devient témoin, naïf et empathique. L’art de la rencontre ou l’illustration de l’impossibilité de témoigner. Un récit d’émancipation est toujours celui d’une parole empêchée. La ressemblance aussi des histoires. La fatalité de leurs similitudes. Minke par son éducation se sent comme coupé de lui-même : difficile de croire au progrès, compliqué de l’abandonner pour s’en tenir aux traditions, à leurs violences et dominations. On lui fait comprendre qu’il connaît mal son pays, que le lecteur veut sa dose de couleur locale. Les personnages partent dans la famille de Nyai. L’oppression sucrière commence ici, reprend les mêmes motifs : son frère sera « contraint » de vendre sa fille au chef de l’usine. Le récit fonctionne parfaitement bien. Minke reçoit alors un témoignage de ce que l’on pourrait nommer le colonialisme dans sa pratique, dans sa façon de s’approprier le territoire, de le rendre rentable. Un paysan est expulsé pour que les blancs puissent planter de la canne à sucre. Faute de preuve, Minke ne parviendra pas à le dénoncer.

L’humanité restait telle qu’elle avait toujours été, complexe, barattée par ses passions archaïques telle qu’aux époques révolues.

Au-delà de l’aspect quasi-documentaire du roman, de la révélation du rôle du Japon (sa capacité à se faire admettre comme des blancs), l’émulation que cela procure en Chine, Enfant de toutes les nations brille par sa capacité à faire entendre des voix. Un concert de souffrance, celles de Robert Mellema, de Trunodongso (le paysan exproprié), de Khouw Ah Soe (un Chinois de la jeune génération, tué d’avoir voulu éveiller les consciences de ses compatriotes). L’auteur parvient à internationaliser son propos. Au risque du théorique, nous l’avons dit. Notons tout de même les discours de Ter Haar, un blanc radical qui souligne à quel point le Capitalisme est parvenu à se substituer au progrès.


Merci aux éditions Zulma pour l’envoi de ce roman.

Enfant de toutes les nations, Buru Quartet II (trad Dominique Vitalyos, 510 pages, 10 euros 50)

Laisser un commentaire