Tout ce qui brûle Lisa Harding

Un livre dérangeant sur l’alcoolisme, ses crises et ses traitements, dérangeant surtout par les liens fusionnels du désir brûlant de reconnaissance, par tous les malaises d’un amour excessif. Plongée dans la psyché incandescente de Sonya, son désir d’incandescence, les sourdes maltraitances infligées à son fils, à son chien, ses soins qui ne règlent pas grand-chose. Totalement à hauteur de son personnage, Lisa Harding nous livre les sensations et égarements de son héroïne. Tout ce qui brûle ou nos dépendances à une reconnaissance qui ne comble rien.

Il faut un temps pour pénétrer dans les rets de Tout ce qui brûle. Il faut dépasser sa crainte de lire seulement un roman social, une plongée dans une situation sordide. Ce sera la torsion narrative de tout le roman : peut-on se laisser prendre aux délires, apitoiement, altération de la réalité dont Sonya nous abreuve ? Peut-on comprendre ce que l’on ne saurait excuser est une question essentielle du genre romanesque. Mais Lisa pousse le trouble plus loin : que fait-on de l’intérêt de l’enfant, comment réserver notre empathie pour un personnage quand son gamin de quatre ans sert de révélateur à l’anormalité de situations dont il pâtit ? Peut-être que continuer à lire se fait par la finesse du dialogue. Au fond, Tout ce qui brûle raconte comment, à force de dénis, on parvient à s’enfermer dans un univers parrallèle, dans un désir d’incandescence. Une vie plus ardente, une vie moins ardue que celle avec laquelle on compose. Sonya a connu la lumière, cette défonce de la scène, cette brûlure de n’exister que comme personnage.

Ce sera sans doute ainsi que Lisa Harding nous accroche : certaines obsessions de Sonya nous sont facilement familières. L’autrice s’interroge jusqu’à quel point elles peuvent devenir pathologiques, être jugées comme une impossible déviance sociale. On peut ainsi penser qu’elle prend l’exemple du végétarisme de Sonya, fait anodin, on l’espère accepté, tout au moins entendu dans son urgence écologique. Néanmoins, insidieux glissement, discours obsessif, hantise de rentrer dans un magasin saturé d’animaux morts. Là encore, on devrait entendre, on devrait aussi savoir être outré du fait qu’en centre de désintoxication la santé ne passe que par un régime carné. Mais, et c’est toute la réussite du roman, le monologue de Sonya vaut par ses omissions, par ce qu’il veut imposer à autrui. Dans un discours d’ailleurs un rien ambivalent (révélateur d’un certain imaginaire collectif cependant où ne pas manger de viande équivaudrait à être peu ou prou un détraqué, avoir un problème avec son identité), on entend que Sonya subit des troubles de l’alimentation, mange le moins possible, s’alimente d’un discours sur sa nourriture. Bon, chacun fait ce qu’il peut. Mais laisser un gamin dénutri…

Qu’est-ce que c’était ? De la faiblesse, de l’avidité, une mise à l’épreuve, l’anéantissement, le renoncement, l’abandon, la folie, l’indulgence ?

Tout ce qui brûle dérange véritablement quand il interroge, toujours dans cette ambivalence, de l’assignation sociale. Peut-être n’est-ce pas le propos du roman, mais je trouve qu’il convient d’interroger la latitude passionnelle accordée aux artistes. Eux pourraient, devraient même, vivre plus intensément. Brûler la vie et autres métaphores dans lesquelles on finit par se cramer. Toujours comme une façon de se cacher à elle-même, entre réflexe protecteur et incapacité à faire autrement, Sonya se prétend très consciente du rôle que l’on attend d’elle. Le théâtre d’ombres de nos vies. Une forme de lucidité de savoir que l’on y tient différent rôle. Une forme d’engagement à savoir que l’on ne peut les quitter quand bon nous semble. Notons d’ailleurs que le roman interroge ainsi assez finement les prescriptions sociales du soin, son excessive normalisation. En Irlande, le traitement de l’alcoolisme est uniquement religieux, la seule façon de combler le manque exprimé par la dépendance serait de se tourner vers Dieu. Ou alors, comme le suggère une soeur, de trouver une activité qui vous apaise. Sonya aime nager, pas évident quand on est mère célibataire, vivant d’allocation.

Pas évident non plus quand un bon samaritain s’invite dans votre vie, croit mieux savoir que vous ce que serait le bon comportement. Une belle ambivalence, un homme, avec insistance, veut aider Sonya. La très mince frontière entre lucidité et paranoïa ; la très grande difficulté à aider quelqu’un qui sans cesse vit avec la doublure d’un univers imaginaire qui impose ses justifications, pas toujours fausses il faut bien le reconnaître.


Un grand merci aux éditions Joelle Losfeld pour l’envoi de ce roman.

Tout ce qui brûle (trad : Christel Gaillard-Paris, 334 pages, 22 euros)

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