Attaquer la terre et le soleil Mathieu Belezi

L’imbécile brutalité de la colonisation algérienne, armée et agricole. La vie quotidienne des colons, son implacable et absurde dureté ; les bains de sang éhontés de barbares militaires censés apportés civilisation et progrès. Pour donner à voir l’insoutenable de cette situation, Mathieu Belezi cisèle l’apprêté, les apartés, de sa langue d’où, sans ponctuation, émergent des bribes de dialogues, rythmes et motifs d’une incapacité à, d’une part, s’acclimater et, d’autre part, le fou conditionnement meurtrier. Attaquer la terre et le soleil où l’horreur à hauteur d’hommes et de femmes.

Heureusement, la littérature persiste à donner une autre vision de l’Histoire, parvient à en redire sans trêve la violence tout en incarnant le ressenti de ceux qui la subissent, de ceux qui l’infligent. Attaquer le soleil et la terre va raconter les débuts de la colonisation algérienne. C’est sans doute un des charmes de ce roman : ne jamais totalement prétendre faire un roman historique et parvenir alors à faire entendre la substance des jours de ceux qui, tels des pions, y vivent. Ce décalage temporaire passe d’abord, anecdotiquement, par une absence de date. Aucun événement connu, une manière de ne jamais se prétendre au cœur de l’événement dit historique. Au bon endroit au bon moment. Aucune date ne sera donnée dans ce roman, aucune toponymie non plus pour guider le lecteur. Une sorte d’ailleurs d’une incomparable et absurde violence. Mathieu Belezi ne paraît pas non plus exagérément poursuivre une conformité historique de sa langue. Pas certain de faire travail de critique en soulignant quelques discrets anachronismes. On écrit toujours sous le poids de notre époque. Attaquer la terre et le soleil appartient indéniablement à ces œuvres, nombreuses, qui tentent de redonner mémoire à cette histoire. Citons seulement l’admirable Ce que la France n’a jamais dit à l’Algérie d’Alain Giorgetti. Avouons notre stupide crainte de voir, au temps des commémorations, un déferlement de romans, une sorte de lutte mémorielle qui pourrait sombrer dans la conformité du contre-discours.

C’est mal connaître la barbarie que de croire l’homme capable d’en venir à bout.

Aucun commentaire ne sous-tend Attaquer la terre et le soleil, aucune encombrante présence de l’auteur qui viendrait pontifier sur sa posture. Mathieu Belezi charge son récit, son imparable écriture, de tout dire. Sans se confondre ni se rejoindre, deux récits s’entremêlent. Terre et soleil — aucune place pour ceux qui veulent les occuper. Rien qu’une sorte de rêve de la part de colons dont, sans avoir à le préciser, l’auteur nous fait sentir l’absence d’espoir de leur fantasme d’une installation ailleurs. La France leur accordait six hectares d’une terre qui ne leur appartenait pas. Mathieu Belezi fait résonner leur quotidien, la suite d’épreuves qui les attend. De mal en pis, de la pluie au choléra, des légitimes incursions autochtones aux deuils impossibles. Une famille tente l’installation sur cette terre aride, comme un signe elle ne cesse de rejeter ses occupants illégitimes, attendrissants. Comprendre alors les mécanismes de la colonisation : au début rien que des victimes. C’est du moins ce que semble vouloir nous présenter Mathieu Belezi. Sans doute nous faudrait-il trouver des qualificatifs plus précis pour parler de sa langue, de ce qui fait que son récit tient. Par facilité, on pourrait parler de cette absence de points, de séquences construites en une seule respiration autour de l’épisode tragique qu’elle raconte. Question sans doute d’équilibre : il convient de dire l’insoutenable des vies là-bas sans se laisser prendre à la fascination, accorder une certaine beauté à la difficulté de vivre. Attaquer la terre et le soleil dit l’épuisement de l’effort, de l’espoir. La description du choléra, l’impuissance et la peur sont une réussite exemplaire. Au-delà du contexte, ce que raconte l’auteur est la perte de la foi, de la confiance. Le moment où le discours s’ébrèche, le seul où vraiment il existe.

ça ne va pas recommencer les commentaires.

Une distanciation nécessaire afin de dire, avec une indéniable justesse, ceux qui attaquent le soleil, ceux qui ne sont pas des anges. On le sait, sans doute n’est-ce pas inutile de le répéter, la colonisation de l’Algérie fut d’une barbarie ineffable. Une folie au seuil de l’hallucination, avec bien sûr de la gnôle pour embrigader ceux qui en furent les acteurs. C’est bien le pire, l’horreur peut connaître une certaine banalisation. Elle se construit sur un discours dont la littérature n’a pas fini de dire la déraison. « Nous ne sommes pas des anges » répète le capitaine à ses troupes, pillards qui organisent ce qu’ils osent nommer sécurisation. Viols, pillages, vengeances — la grandeur de la France ! En italique s’immisce pourtant une autre conscience, la description des gestes extérieurs, la possibilité qui sait de ressentir la peur des autres. Est-il utile de préciser que tout ceci est d’une grande dureté ? La colonisation sans doute commence au moment où, par vénalité ou luxure, les colons heurtent les valeurs, le sens de la propriété. Les hommes n’acceptent pas de céder leurs femmes. On les massacre. Parlons aussi de ces actes d’enfumages pour faire sortir les hommes de leur refuge dans les grottes. Peut-être n’aurions-nous pu dire que ceci : on se laisse happer par ce cours roman, tendu, exact.


Un grand merci au Tripode pour l’envoi de ce roman.

Attaquer la terre et le soleil (157 pages,

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