Une vérité changeante Gianrico Carofiglio

Comment met-on en récit sa propre vie, comment d’autres, dans des procès-verbaux, la mettent en mots, en traquent vérité et interstices. Dans cette très brève, quasi anecdotique, enquête du maréchal Fenglio, nous retrouvons notre enquêteur qui s’interroge sur la langue et la vision des faits qu’elle informe à travers la précision d’une procédure et des rouages sociaux qu’elle met en lumière. Gianrico Carofiglio signe un trop bref polar d’atmosphère, une enquête ordinaire.

Un polar de moins de 150 pages, c’est rare. Un rien frustrant aussi. À quoi bon se demande-t-on quand on referme ce polar. On nous raconte une histoire simple, décevante comme elles le sont toutes, une enquête où trouver le coupable n’apporte aucune satisfaction. Ce sera d’ailleurs toute la réussite, paradoxale peut-être de ce roman, ne rien dire d’autre, se concentrer sur sa procédure, sur ses dialogues, aller dans l’infra-mince du quotidien d’un policier, parfaitement banale. Le roman date de 2014, se passe dans les années 90. On y sent une atmosphère, moins langoureuse, à la Mankell, une manière de mélancolie, une forme de quasi-impuissance pour les méandres sociaux de cette enquête. Un homme est retrouvé, mort. Une obligeante témoin a vu un jeune garçon sortir de chez celui qui était prêteur sur gage. La machine judiciaire se met en branle. Comme dans L’été froid, l’enquête prend tout son sens dans la distanciation de sa langue administrative, dans la réalité que mal elle cerne. Sans doute est-ce là tout le sens de ce maigre polar : pointer les interstices du réel, le détail discordant, ce sentiment de manque d’une affaire qui marche trop bien.

On aurait dit qu’il y avait tout. Et pourtant quelque chose se cache souvent dans les recoins des procès-verbaux. Quelque chose qui a été dit mais n’a pas été noté. Ou quelque chose qui aurait pu être dit mais ne l’a pas été. Parce que celui qui parlait a oublié, n’a pas accordé d’importance à un détail, ou simplement parce qu’on ne lui pas adressé la bonne question.

De quel côté on rentre, ici, dans une voiture ? Le silence entre les mots, le retrait pour résonance et approfondissement, de l’oralité, l’écoute de ses silences, voilà ce que nous propose ce roman en apparence modeste. Toujours avec une façon bienvenue de s’effacer. D’une manière que l’on peut trouver alors un rien automatique, Gianrico Carofiglio pousse la mise en abyme, la comparaison entre une enquête et l’écriture d’un roman. Partir d’indice et construire une histoire plausible puis, tel un avocat, tenter de déconstruire une hypothèse, imaginer tout ce qu’un récit peut laisser entendre, suggérer. Nous pourrions vivre en regardant les éléments qui dérangent notre sage conception de ce qui, si mal, nous tient lieu de réalité, voire la contredisent.


Merci à Folio Policier pour l’envoi de ce roman.

Une vérité changeante (trad : Elsa Damien, 144 pages, 6 euros 90)

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