Dieu leur dit Sotiris Dimitriou

Rhapsodie de l’exil, de cette identité qui s’invente dans ce récit polyphonique où, entre eux, des hommes discutent, dévoilent leur douleur et leur deuil comme pour laisser subsister, entre deux verres et deux chansons, un peu de joie. Dans sa fidèle restitution des accents et intonations, des voix et surtout des éclats de vie, de résistance et de peine ainsi éclairés, Dieu leur dit est une somme d’humbles témoignages, de présences humaines sans commentaire ni jugement où s’interroge ce qui persiste de ce monde, à la bascule de l’an 2000, en pleine mutation. Sotiris Dimitriou poursuit ici son travail sur la langue, sur les mondes abolis ainsi révélés.

Après le très beau Heureux soit ton nom, on est heureux de retrouver Sotiris Dimitriou, toujours dans la traduction musicale de Marie-Cécile Fauvin. D’une manière parfois un peu paradoxale, j’aime les livres dans lesquels, absolument, l’auteur s’efface derrière son histoire, le style avec lequel il décide, et parvient, à en transmettre le ressenti. Il semble bien que notre modernité, à laquelle, en dépit de tout, nous ne saurions résister, tient aussi à la captation de mode de vie enfuis, à l’incapacité à vraiment les regretter qui s’allie, aussi, à l’impossibilité de faire sans cette mémoire. Il faut aussi souligner la très grande difficulté à faire un récit constitué seulement de dialogue, sans le moindre commentaire apparent, se confronter ainsi à la fausse évidence de ce qui serait là. Dieu leur dit revient sur un contexte peu connu, je crois, du lecteur francophone. Si j’ai bien compris, la Grèce s’est construite, comme n’importe quel état nation au demeurant, dans le fantasme de son unité, en reléguant dans ses marges toutes les ethnies divergentes, toutes les violences de la construction de ses frontières. Sotiris Dimitrou reprend les manières de parler de ceux qu’on appelle les Epirotes du Nord, ces grecs qui se sont trouvés des deux côtés de la frontière albanaise. Une partie, comme le montrait si bien Heureux soit son nom, s’est retrouvée à vivre dans la dictature albanaise, la volonté de la fuir à tout prix. Dans Dieu leur dit, nous sommes un peu après, dans les moments où l’exil se fait, sans réparation ni intégration, très difficile installation. C’est cela que parvient, très humblement, avec une émotion vraie d’être délicatement retenue, à donner à entendre le récit, assez court au demeurant. C’est simple, c’est bien. On pense, dans un tout autre contexte, à Ustrinkata d’Arno Camenish lui aussi publié par Quidam éditeur. Ce que nous sommes est, sans doute, un attachement à une façon de penser, aux croyances et espoirs irrationnels qui toujours gisent dans la langue. Dieu leur dit place son récit dans une situation toute simple : des maçons sont coincés, par la pluie, dans une maison par la pluie. Entre deux tournées et deux chansons (comme on fait entendre un imaginaire collectif) chacun va raconter son propre cheminement dans l’exil. Il faut le dire : on peut éprouver une certaine peine à se retrouver dans chacune de ses voix, dans les surnoms dont les affecte l’auteur. Heureusement, une présentation des différents personnages, en début d’ouvrage, y pallie. Sans aucun doute, l’essentiel n’est pas là. Peut-être Sotiris Dimitriou veut-il faire entendre une voix commune, singulière précisément dans sa pluralité. On entend cette incertitude de la disparition, comme le souligne avec force, pour aujourd’hui, Marie Cosnay dans ses Des îles auquel si facilement peut, hélas se réduire l’exil. Un cousin disparaît, le corps n’est jamais retrouvé, sa mère sans fin se lamente. Un prisonnier pense que Saint Spyridon lui doit encore autant d’années de vie que celles passées, sans raison, en prison. L’handicap d’un enfant qui jamais ne tiendra en place. Mais, Sotiris Dimitriou montre aussi que le drame de l’exil se poursuit. Il crée l’impossibilité d’un retour au pays natal : les villages de l’Epire se dépeuplent, jamais ne s’y retrouvera la perfection de la vie, rurale et bucolique, que l’on y a rêvé. En Allemagne ou aux Amériques, les enfants s’enfuient. Le charme de Dieu leur dit est de prendre ce constat pour ce qu’il est, des considérations qui, tant bien que mal, tentent de consoler. Peut-être ne valent-elles ni plus ni moins qu’une chanson, qu’être ensemble, malgré les différences, un instant.


Un grand merci à Quidam éditeur pour l’envoi de ce roman.

Dieu leur dit (trad : Marie-Cécile Fauvin, 122 pages, 15 euros)

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