L’aide à l’emploi Pierre Barrault

Satire foutraque, aux confins de l’absurde et du non-sens, des injonctions au travail, de ses folles et contradictoires exigences qui place le héros de cette fable dans des situations de plus en plus cocasses, du plus haut comique. On retrouve ici toute la logique sérielle, quantique en toute fin, de Pierre Barrault qui distord et reprend un récit simple (un homme poursuivi par son conseiller pour la recherche d’emploi) pour explorer la folie et l’insanité de cette logique de l’efficacité, de l’imposé participation active à la destruction du monde. L’aide à l’emploi une satire hénaurme, comme on dit, de l’aspect profondément illogique de la vie salariale.

Il faut bien l’admettre, sans doute seulement par lassitude de notre part, j’ai mis un certain temps à lire L’aide à l’emploi. Lire avec intermittence, avoir l’impression d’en comprendre la logique, le dispositif, voire de le trouver un petit peu répétitif, sensiblement similaire à celui mis en œuvre dans Protag ou dans Catastrophes. Peut-être parce qu’il s’agit d’une réédition, en format poche, d’un livre précédent de Pierre Barault, peut-être aussi qu’un peu de fatigue, un excès de lecture qui sait. Parlons quand même, et en détail, à l’écart de nos affects, de L’aide à l’emploi. Il faut accepter la nouveauté de l’univers de l’auteur, la non-linéarité et l’ubiquité de sa prose : son personnage éprouve en permanence une altération de l’espace-temps, la quantique possibilité d’être à la fois là et pas là s’entremêle, semble-t-il, à celle du rêve où l’on peut être à la fois dans le bus et la victime qu’il écrase. Ou, mieux encore, dans sa chambre à rêvasser à tout ce qu’il ne fera pas pour chercher un travail, docilement comme paraît-il il faudrait en permanence faire pour prouver être un élément actif, intégrer, rentable, de la belle société que l’on nous construit. La résistance que suggère Pierre Barrault n’a rien de doctrinaire ou de militante. Un échappement pour nous rappeler que la mise en mots doit permettre d’être ailleurs, d’échapper aux discours dominants. Artalbur (quand on disait que la prose de L’aide à l’emploi détourne en permanence la réalité, on le voit bien par le nom de ce protagoniste), grimpe dans un bus, veut prouver qu’il se démène pour trouver un emploi, pour échapper aussi à son conseiller, Dolonesque, il devra affronter les télescopages de la réalité. Son médecin, dans ses différents avatars, pense qu’il a l’intestin trop long, le motif, comme chaque événement, ne cesse de revenir, d’être déformé, repris en hantise, en altérations oniriques. C’est souvent virevoltant, obsédant, évident comme un rêve. Un peu lassant aussi, parfois. Des éclats alors de revanches, de violence presque parodique ; le non-sens dans ce qu’il a de profondément drôle. En creux, on retrouve la discrète, et tenace, critique sociale de L’aide à l’emploi, dans ses violences souvent exercées contre des hommes réduits, comme le voudrait le cauchemar capitaliste, à des fonctions. Pierre Barrault, peut-être (l’incertitude et la mélancolie reste forme de résistance) veut faire imploser ce monde d’injonction, d’accroche aux objets censés représenter une aide à l’emploi dont le mode d’emploi, subtilement absurde, ponctue le récit. Comme une piste d’interprétation, derrière beaucoup de masques qui tombent et se recomposent, comme s’il fallait d’ailleurs accepter le manque de sens global, se dessine une sorte de complot. On ne peut pas quitter la ville, le seul domaine, qui ne travaille pas pour Cron ? Plutôt que de vouloir démonter le sens, en dévoiler le sens, empêcher le lecteur d’en découvrir le tourbillonnement qu’il organisera comme il voudra, on voudrait clore (la formule paraît risible, réelle) sur la matérialité de la langue dont sans cesse joue Pierre Barrault. Un détournement, un mantra : le miroir de cette déraison que l’on prend pour notre stable réalité, pour sa langue qui ne devrait pas en figer les interprétations et autres peurs.


Un grand merci à Quidam éditeur pour l’envoi de ce livre.

L’aide à l’emploi (172 pages, 7 euros 80)

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