Protag Pierre Barrault

Duplicata à l’absurde, par un photocopieur détraqué, des rocambolesques aventures d’un espion nommé Protag. Jeu malin sur les variantes du récit, sur tout ce que le roman d’espionnage peut avoir d’emprunté, de redites de situations caricaturales, d’invraisemblances sans doute aussi. Protag propose un insidieux basculement dans l’absurde, dans son comique mais surtout dans une interrogation sur l’identification à un personnage qui jamais n’est autre chose qu’un duplicata. Pierre Barrault pastiche admirablement le roman d’espionnage, en de très courts fragments qui le réduise à l’essentiel (dissimulation et à de rocambolesques pirouettes physiques) dans une poursuite effrénée de scientifiques hongrois, de micro-film et d’une dangereuse caméra thermique.

Peut-être serait-ce une erreur de perspective, mais après avoir lu Catastrophes de Pierre Barrault, difficile de ne pas penser que l’ombre de la physique quantique, comme c’était explicitement le cas dans son précédent ouvrage, est ce qui vient perturber la linéarité du récit. Bien sûr avec la possibilité que ce ne soit qu’un pastiche, une caricature, disons l’emploi ironique de multivers. Pour autant que je puisse en parler, la physique théorique aurait prouvé que l’univers n’est serait pas unique, mathématiquement l’existence d’univers parallèles, proches mais différents, reste prouvable. Séduisante métaphore : la littérature c’est l’hypothèse que les choses, toujours, peuvent se passer autrement, trouvent une autre fin, s’extraient des causes et conséquences trop évidentes. Pierre Barrault se lance alors dans cette fantaisie avec ce sérieux, cette croyance atterrée, cette persévérance d’un multivers qui serait le sien. Il décrit donc une scène dans tous les variantes possibles qu’elle appelle. On trouve dans Protag un sens très anglo-saxon du non-sense, de l’humour par décalage. Avouons qu’une partie des références, vaguement m’échappe, paraissent un rien datées ou, mieux encore, totalement fausses, empruntées ou point d’être inventées. L’espionnage dans un univers de carton-pâte, l’Angleterre par des noms de croisements de rue, de rouges cabines téléphoniques, de références à Lotus Seven. Prétentieux on dirait un jeu théâtral sur les stéréotypes qui permet une identification immédiate, sans description. Un nom, une fonction, un flingue (dont systématiquement est précisé calibre et marque), ça suffit. Une sorte de décalage bien sûr dans les noms des protagonistes qui interviennent telles des métalespses, des adresses au lecteur comme distanciation de la réalité qu’on lui présente et à laquelle tout à fait jamais il ne peut croire : Protag, le protagoniste, Sous-Sol le chef traîtreux planqué derrière ses manipulations, Tentru la tantrique (pardon) femme fatale… Et, forcément, un moment où le langage lui-même ne fait signe vers plus grand-chose. Le roman d’espionnage est bi-polaire, simplificateur. Protag poursuit (c’est beaucoup dire) des scientifiques hongrois : le masque optimal de l’inintelligible. Il intercepte des conversations incompréhensibles. On aime l’idée, ignorant que nous sommes, qu’il ne s’agit peut-être pas de hongrois. Rien que des cyclistes dans un cratère.

Le problème vient de ce que nous avons découvert sur ces photocopies. Figurez-vous que nous avons découvert un grand nombre de variantes.

Reprenons. Partons sur une autre photocopie. Protag se constitue de courts chapitres dûment titrés. Ils sont un récit minimal, pour ne pas dire une manière de rapport. Pierre Barrault s’intéresse au moment où tout déraille, où la réalité devient une mauvaise copie de nos fantasmagories. Le rapport Eldeberry liquid manure s’emballe, enserre tout ce qui pourrait arriver, raconte les mêmes scènes avec de subtiles variations. On se laisse prendre. Si je voulais être chagrin, certes, on peut se demander à quoi tout ceci mène. Un peu de gratuité sans doute dans ce dispositif narratif. On s’amuse, c’est déjà ça. Pierre Barrault entretient une indéniable sympathie pour les perdants, ceux qui à la lettre subissent l’action. C’est ce qui arrive à Protag. Son détachement confine à l’imbécilité. Il agit sans vraiment savoir où est l’original et où le duplicata. La stupidité serait sans doute de considérer que nos gestes sont uniques. Avec un peu d’imagination, on pourrait presque reconstituer le puzzle de Protag, en faire un réel récit d’espionnage. Peut-être est-il malgré tout quelque chose, sans doute y verrons-nous l’invraisemblable et l’absurde que le lecteur compense dans un récit d’espionnage. On interroge notre désir de sens qui nous pousse à continuer. Le héros meurt, revient dans une autre variante, essaye à nouveau. On pourrait presque penser à Orbital ou à Beast d’Elsa Boyer. Si ce n’est que rien revient hormis l’humour et le décalage chez Pierre Barrault. Un certain attachement aussi aux objets à double fonds, aux dissimulations qui sont la caractéristique principale des personnages de ce roman par variante. On se laisse prendre à ce monde foutraque et cohérent.


Un grand merci à Louise Bottu.

Protag (137 pages, 14 euros)

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