Inachevée, vivante Pierrine Poget

L’intime dans ses déchirures et maternité, ses amours et enthousiasmes, l’existence enfin dans l’écoute. Admirables et sensibles notations poétiques sur une douloureuse expropriation de soi par une expérience de maltraitance dont, sans apprêt, Inachevée, vivante restitue la sidération pour mieux dire ensuite toutes les possibilités de refus, l’insatiable potentialité de douceur quand enfin revient la possibilité de percevoir. Tout de fugacité, de notations qui saisissent les échos de l’instant, ce livre qui tient de l’essai et du carnet, du témoignage et de la réflexion sur la féminité, ce très joli livre de Pierrine Poget exerce une vraie séduction par sa spéculative traversée des illuminations.

On aime énormément les livres composites, fragiles et délicats, que continuent à offrir les éditions de La Baconnière. Nous avions particulièrement apprécié Warda s’en va, Carnet du Caire et sommes donc ravis de retrouver Pierrine Poget dans un registre à la fois radicalement différent, mais au fond similaire, sans doute surtout par son désir de trouver une forme pour témoigner, restituer cette joie du vivant dont l’autrice situe très vite l’importance : « une question qui est au fondement de ces pages : celle de la joie et du pouvoir qui l’éteint, de la dette qui prétend fonder se pouvoir — dette imaginaire, mais profondément fantasmée, qui pousse sans cesse à s’acquitter, au détriment du don et du partage. » À la suite, notamment d’Alice Zeniter, il me semble intéressant d’interroger cette question, disons, de la rédemption, du rachat, de ce que l’on mériterait et donc de cette joie qu’il faudrait taire ou, à défaut, lui donner une forme minorée, celle d’un utilitariste épanouissement personnel. Il ne faut pas, je pense, comprendre le propos de ce livre comme une compensation, une façon de continuer à croire que la joie viendrait après la malheur, presque comme une condition. Peut-être davantage la volonté de dire, de faire entendre ce qui trop facilement se comprendrait comme la complexité de l’instant. Ce qu’il faudrait aussi entendre comme la possibilité d’un refus. « Mais moi qui écris, je pense que non, que c’est faux, que la possibilité du refus, c’est-à-dire l’espérance, ne se retire jamais complètement. » Alors, la sécheresse des notations, quasiment des entrées de journal, quasi neutralité pour évoquer un passé que Perrine Poget peine encore à croire entièrement sien. Acceptation de cette séduction imposée, la maltraitance déjà. À nue, les pages sont plutôt difficiles, mais restent contrebalancer par la précision de l’écriture. « Cependant, les jours resplendissent d’une vie sans traduction. » Traduire ce que l’on a vécu reste une gageure, il faut parvenir à en trouver les circonstances. Une sorte de sidération, de passivité, d’apparente acceptation, d’incapacité à faire autrement. Écrire, toujours serait une façon de se repenser. Serait-ce dans des définitions qui, un peu, interrogent et constituent en cela un appel :

Je crois aujourd’hui que le féminin est l’autre nom d’une intimité avec le vivant. (…). J’appelle de mes vœux une société où cette qualité d’attention, autorisée et encouragée, s’épanouirait dans les êtres, car elle contient d’infinies possibilités de réparations.

Laisser alors ouvertes, inachevées, vivantes la fragilité de ses possibilités de réparations. Voilà ce que proposent les phrases de Pierrine Poget, les instants dont elles reflètent la fuite. Une très belle évocation de la maternité, dans un délicieux abandon de soi : « Comme elle est douce, la suspension de ne plus être soi, pour être seulement. » L’enfance et ses soins, ses absences aussi. Toujours la traduction des jours, des bribes et des éclats, minuscules et décisifs. Captivant quand le temps qui passe n’est pas nécessairement défaite : « Mais peut-être faudrait-il laisser faire, laisser l’amour ouvert sur sa limite, sans consolation, et compter ce que les heures font au jour pour le rassembler. » Le mystère d’un lieu et la potentialité d’y renaître: Briance. Une maison entourée de fleurs, de caressantes perceptions s’y déclinent. Une forme de beauté. L’amour soudain est là, au féminin discrètement nous apprennent les accords grammaticaux, surtout dans le sens de la formule dont il faut bien admirer ce qui pourrait se nommer condensation poétique : « Il régnait une exigence douce en tout, une acuité sans souffrance qui traversait la parole et l’écoute. » Cette traduction éperdue de la vie passe dès lors par une écoute artistique, un pas de côté que Pierrine Poget affirme joliment : « À plusieurs reprises, des œuvres m’ont ouvert les yeux sur des réalités dont le degré d’emprise me dissimulait l’évidence. » Ce qu’il faut de désaffection aussi pour une soudaine attraction, pour les toiles de Corot ou de Berthe Morrisot qui éclairent Inachevée, vivante. Toujours une question de mouvement.On l’a dit, le livre brille de sa brievèté, du charme de ses instantanés où la vie toujours s’esquisse. On aime vraiment la continuité de cette sorte de journal poétique.


Un grand merci aux éditions de la Baconnière pour l’envoi de ce livre.

Inachevée, vivante (112 pages, 16 euros)

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