Le livre des illusions Paul Auster

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Par l’histoire d’un homme à la vie empruntée qui tente de renaître en écrivant un livre sur un cinéaste à l’existence fugitive et mystérieuse, Paul Auster reprend les thèmes qui lui sont chers. Le livre des illusions parle des pouvoirs de la fiction, de l’illusion d’un parole d’outre-tombe et surtout de réinvention de soi dans la perte. Un livre intelligent mais un rien trop vertigineux.

Il serait un peu trop facile de laisser entendre que les romans de Paul Auster ont vieilli. L’écrivain lui-même appartenant à une autre génération, à l’école du post-modernisme dont aujourd’hui les échos nous parviennent assourdis. Une part de cette impression fautive ne m’a pourtant pas quitté durant toute ma lecture. Sans doute à cause d’antiques souvenirs universitaires de ma lecture de son impressionnante Trilogie new-yorkaise. Tant que nous en sommes aux impressions insatisfaisantes, notons parfois l’excès théorique dans lequel, il me semble, sombre parfois Paul Auster. Un excès certes confortables pour le critique qui trouve de faciles point d’achoppement pour ses vaniteux commentaires. Dans la grande tradition américaine, le narrateur est, bien sûr comme écrirait Tanguy Viel, prof d’université et se confronte -comme le fait La disparition de Jim Sullivan ou d’ailleurs au premier degré La sentinelles de Lisbonneaux mythes si états-uniens de la disparition comme manière de rejouer l’autre caricature fondatrice : le perpétuel renouveau de soi par l’incarnation du self-made man.

Cette convention pourtant ne ralentit aucunement une lecture fort bien construite. Presque sur le modèle d’un thriller si je ne craignais d’employer un terme pour éditeur besogneux. Le plus gênant (mais seulement au sens de l’embarras ressenti à s’y laisser prendre) est l’aspect excessivement théorique dont se recouvre plusieurs épisodes de ce roman. Notamment, la retranscription de scénario. Certes à partir de souvenirs confus, reconstitués en partie par l’hypnose, du narrateur. Avec un succès discutable, Paul Auster fut cinéaste. Je connais mal ses films. J’espère qu’ils sont moins diablement significatif que l’aperçu du film maudit, Dans la tête de Martin Frost, dont il livre un aperçu ou son dédoublement et sa confusion entre histoire et celui qui la raconte acquière une vague lourdeur. Afin de mieux faire comprendre ma légère réticence, rappelons la magnifique exigence énoncée par Ôé Kenzaburo : un romancier doit réfléchir par scène afin de ne pas se laisser prendre à ce qu’elles doivent vouloir dire.

Pourtant, ne nous y trompons pas. On se laisse prendre à ce roman délicieusement trompeur, trop intelligent pour ne pas s’exprimer dans une langue très clair et avec un saisissant sens du rythme. Le plus bref roman de ce résumé serait : l’histoire d’un homme qui revient et qui poursuit un homme qui n’est, lui, jamais revenu. David Zimmer perd femme et enfant comme afin d’incarner la stature du romancier définit par André Gide. Dans une tentative désespérée de deuil, un peu par hasard, il se lance à la poursuite d’un des derniers cinéaste burlesque du cinéma muet Hector Mann. Pour être sûr que nous sommes dans un roman d’Auster, ce cinéaste sera bien sûr, par un jeu de mots, l’homme…  Zimmer, lui qui découvre qu’il vivait des « jours empruntés » devient le seul spécialiste de ce comique mystérieusement disparu. Étrangement, avant la description un peu pesamment symbolique de la fin, Auster nous livre de belles réflexions sur les défauts du cinéma :

Trop de choses étaient données, me semblait-il, trop peu laissées à l’imagination du spectateur et, paradoxalement, plus le cinéma simulait de près la réalité, plus grave était son échec à représenter le monde – celui qui est en nous autant que celui qui nous entoure.

Dès lors, il me semble que Paul Auster déploie tout son talent quand il se plonge dans le labyrinthe de l’intertextualité pour employer une expression délicieusement démodée. Entre deux livres, sans grand projet, Zimmer se lance dans la traduction des Mémoires d’outre-tombe. L’auteur sait faire jouer les coïncidences comme autant de ses fils invisibles poursuivis par Sebald. Avec un sens lapidaire de la formulation, il s’aventure, avec cette obstination monomaniaque si bien rendue, dans Memoirs of a dead man. Tous les romans sont une méditation sur notre propre disparition affirme Le livre des illusions et afin de se noyer dans la continuité de l’œuvre d’Auster, cette traduction devient la ville de New-York elle-même. Pas d’inquiétude pourtant, Le livre des illusions ne quitte jamais véritablement le romanesque : Zimmer est enlevé, on lui raconte la rocambolesque disparition de Hector Mann et surtout ses tentatives pour renaître dans une forme d’expiation masochiste si bien comprise par Auster. Sans grande surprise, le destin de David et celui du cinéaste se confonde. À peine est-il suggéré que Zimmer en invente la plus grande partie pour quitter son endeuillé désœuvrement. Hector lui aussi perd un de ses fils après ses aventures très drôles dans leur tristesse sans compensation. Tad quand le fils de Zimmer, mort dans un accident d’avion se prénomme Tod.

Logique verbale qui sous-tend tous le roman. Elle en devient presque comique. Dans un film tournée dans la solitude de la vie en fuite de Mann, une jeune femme porte un t-shirt à l’effigie de Berkley, l’université et elle lit Berkley, le philosophe du nominalisme. Auster nous suggère bien sûr ainsi que la réalité n’existe que dans la perception verbale que nous en avons. Le film devient alors une incarnation détournée de l’œuvre d’Auster. Un de ses personnages écrit une nouvelle dont les deux personnages ont le même nom, son seul roman s’intitule Aventure dans le scriptorium.

Mais, en dehors de ce genre de jeux de mots, avec cette gravité qui sait pouvoir se permettre le burlesque, Paul Auster nous livre une belle réflexion sur la disparition et sur nos façons de composer avec elle. Son œuvre, tout particulièrement dans 4 3 2 1 poursuit cette méditation à l’ombre mortelle, elle trouve d’ailleurs de vivifiants échos dans l’œuvre, proche et différente, de sa femme : Siri Husvedt. Une belle apologie in fine de la littérature en tant que parole post-mortem. Un dialogue solitaire pour les vies de papiers dont l’absence d’espoir devient une chance possible

Je ne parle qu’aux morts désormais. Ils sont les seuls en qui j’ai confiance, les seuls qui me comprennent. Comme eux je vis sans avenir.

Mais la prose d’Auster ne s’enfonce jamais dans le pessimisme ou la facilité d’une tristesse théorique. Justement par la très belle confusion narrative qu’il parvient à mettre en scène. Ces mots sans censément issus du journal du cinéaste disparu. Ils illustrent pourtant à merveille la situation finale du narrateur. Tel est le mince espoir de la littérature…

 

7 commentaires sur « Le livre des illusions Paul Auster »

  1. Bonjour 🙂
    Je n’ai jamais lu de Paul Auster. Je vais voir s’ils ont La trilogie New-Yorkaise à ma bibliothèque municipale, pour commencer.
    Merci pour ton avis 🙂
    P.S.: As tu lu ma réponse sur le forum de Livraddict pour intégrer une vidéo dans un article en version gratuite ?
    Je reconnais qu’elle n’est peut-être pas très claire, mais si tu as des questions je peux toujours essayer de t’aider.
    @ Bientôt.

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    1. Merci de ta visite. La trilogie new-yorkaise n’est sans doute pas le roman le plus simple d’Auster.
      Je n’ai pas encore eu trop de me pencher dessus. Pour le moment ça marche pas. Merci de ta réponse en tout cas.

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