L’automne du commissaire Ricciardi Maurizio de Giovanni

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Superbe polar mélancolique. Dans le Naples des années trente, un commissaire hanté par les dernières pensées des morts s’entête à éclaircir l’empoisonnement accidentel d’un enfant des rues. Dans ce magnifique roman, De Giovanni décrit l’insupportable, l’indispensable héroïsme de la combattre et surtout la solitude d’un homme.

Avec une vraie beauté, sans une once de recomposition, Maurizio de Giovanni nous plonge dans la Naples musolinienne. Aucun romantisme de la misère, peu d’attachement aux faits vécus directement comme des événements historiques. À mon sens, le polar est à son meilleur par sa maîtrise de l’ellipse, le choix sensible de ce qu’il veut montrer. L’automne du commissaire Ricciardi se révèle un très grand roman grâce à ce traitement du faits historiques. Mussolini doit venir à Naples. Le récit se cantonne dans la préparation de cette venue mais surtout dans les complications sentimentales ainsi induites chez le commissaire. Un homme déchiré entre deux femmes. Ces interludes d’intimités finissent d’ailleurs par constituer l’essence même de l’intrigue. Le dénouement, dont je ne dirais rien, appartient lui aussi à cette mélancolique d’évitement. Le commissaire se retrouve dans son domaine : entre la vie et la mort.

Si vous me suivez, vous le savez sans doute : je trouve absurde la catégorisation en genre. Même si dans les mauvais genres se développent une pensée toujours marginale, en contre-bande et sans apprêt. Dans L’automne du commissaire Ricciardi, de Giovanni revient sur cette évidence dont une grande partie de la littérature dite sérieuse s’attendrit. Le roman est un dialogue avec les morts, l’entretien de leur mémoire et la commémoration de notre culpabilité à survivre. Affirmation emphatique.

Le récit policier en efface le sérieux. Le commissaire est «un homme destiné à cheminer dans la douleur, à en être assourdi, contaminé, asphyxié. » Sa grande originalité, hors donc un cadre historique dont est rendu toute l’ambivalence, n’est pas cette mélancolie. Apanage un rien trop automatique chez n’importe quel observateur. Inspecter la vie d’autrui, certes, nous conduit à ce type de sentiments. Une tendresse qui advient trop tard, une compréhension pour ce qui nous reste obstinément extérieure. Le romancier, sans doute, n’aspire à rien d’autre. Ricciardi lui est hanté par la Chose. Il entend

La dernière pensée d’un mort, sa révérence à la vie qu’il n’a pas vécue.

Au fond, presque davantage que L’archipel des Solovski, ce roman est dostoievskien. On connaît l’antienne : comment serait-il possible de croire encore en Dieu si celui-ci laisse mourir un enfant ? Ce thème du roman infanticide est repris, avec une certaine lourdeur, ai-je toujours trouvé par Camus. Ici, avec une vraie tendresse, ni mièvre ni hautaine, la mort d’un enfant remet en cause tout l’ordre social. Contre l’évidence (le roman comme lutte avec le réel comme j’en déplorais l’absence de mise en jeu dans Les amants polyglottes), Ricciardi s’entête à enquêter sur l’empoisonnement d’un enfant, si – comme le veut l’expression de notre confort d’assis – mort de faim qu’il aurait mangé un gâteau plein de mort-aux-rats. Plongée alors sans pathos dans la misère, chez ceux qui en profitent. L’Église et sa charité ne saurait être épargnée sans pour autant verser dans la charge vainement accusatrice. D’ailleurs, sans parler du dénouement, la beauté de ce roman est de comprendre la misère des motivations du coupable.

Un dernier mot, indispensable, sur la langue. Évoquer Naples sans son dialecte serait une déplorable déperdition. Le roman y parvient avec une enviable légereté. Mais sans pour autant en faire l’enjeu romanesque comme c’était le cas dans le très joli La huitième vibration. La langue de Maurizio de Giovanni a la pureté de la simplicité. Au plus près de ses personnages, elle évite toute prétention. Sa discrétion est une force tant elle redouble la très belle économie narrative de ce roman à découvrir.

 

 

 

3 commentaires sur « L’automne du commissaire Ricciardi Maurizio de Giovanni »

  1. « Ce thème du roman infanticide est repris, avec une certaine lourdeur, ai-je toujours trouvé par Camus » Voilà, je suis triste.

    Blague à part, ce polar (moi qui manque cruellement de culture dans le domaine) m’a l’air bien curieux. J’y songerai un jour.

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