Swing Time Zadie Smith

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Roman rythmé sur les doubles, les identités de l’ombre, la survie de l’amitié, Swing time captive par sa construction apte à imposer sa remuante temporalité propre. Comédie sociale ciselée, réflexion sur la célébrité, l’histoire métissée de la danse, l’engagement intellectuel ou humanitaire, Zadie Smith brasse tout ceci à la recherche du mouvement et de son émotion propre. Un grand roman pop.

Aux premières pages de Swing time, on craint un instant que Zadie Soit une se répète. Peut-être d’ailleurs uniquement d’ailleurs à cause de la lecture de Vila-Matas sur ce thème et surtout le fait que la romancière anglaise des quartiers populaires et métissés reprennent ses thèmes habituels. Son héroïne et narratice est, comme dans Sourire de loup, une métisse anglo-jamaïcaine. Mais, cette apparente répétition s’inscrit dans la continuation d’un questionnement sur notre identité collective par une mise en scène d’un destin individuel d’une banalité jamais ordinaire.

Notons au passage que Zadie Smith s’inscrit ainsi dans cette tradition très anglo-saxons de portraiturer, sans mépris ni condescendance, les gens que l’on dit humble. Trouver de la grandeur à la reproduction sociale, plonger dans les classes populaires avec un sourire comme le fait Joseph O’Connor tout en partageant la tendresse d’un Wiliam McIlvanney pour la force de caractère qu’il faut pour affronter la fatalité sociologique.

S’il fallait continuer à inscrire ce roman dans une tradition littéraire, j’évoquerais le nom de Jonathan Coe pour la satire sociale doublée d’une inscription dans un film (pour sa possibilité de embobiner ou accélérer les faits) menée avec brio dans Testament à l’anglaise.

Mais Zadie Smith y ajoute une touche pop étincencellante, voire girly si l’adjectif ne semblait pas si galvaudé. Disons un certain attrait pour le contemporain objectivé dans son attachement à l’objet que l’on retrouve dans Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie. Pas d’ailleurs la partie qui attire le plus franchement mon adhésion. La reconstruction historique s’accroche parfois au marqueur d’époque, une musique écouter au bon moment, voire une vague réticence à l’arrivée d’Internet et son savoir si disponible qu’il tourne à un complotisme cependant parfaitement décrit. On retrouve alors le nom de Claire Messud citée  sur la quatrième de couverture. Un attachement si détaillé au réel suggère assez vite une peur-panique de l’effondrement de ce domaine des ombres, cette bulle de savon, plus ou moins étendue comme le dit le très joli personnage – dans sa souffrance mal comprise – de Fern.

Ainsi, nous obtînmes quelque chose s’apparentant à la vérité, quelque chose y ressemblant beaucoup, mais qui ne l’était pas.

Un des grands talents de Zadie Smith reste que ce dépassement de son récit reste tapis dans l’ombre. Une suggestion inconsciente qui ne surviendra jamais. Ainsi, le motif de l’ombre et celui symétrique de son double lumineux ne devient jamais un dispositif narratif. La romancière croit à ses personnages et les rends de denses danseurs d’une persistance et d’une consistante parfaite. Peut-être d’ailleurs à hauteur de leur conscience de leur manque de perception d’ensemble. La narratrice prétend s’être toujours attaché à la lumière d’autrui mais prévient aussi que cette 《 habitude de multiplier les détails inventés ne (l)’a peut-être jamais quittée》. Le roman se partagera, avec des interruptions à contretemps, sur son attirance juvénile pour Tracey, sa seduction gouailleuse d’apprentis danseuse. On perçoit dans la précision renseignée de cette description enlevée d’une amitié féminine ce qui a pu séduire Claire Messud. Insidieusement, Swing time suggère que les deux jeunes filles ont surtout partagé des simulacres, une image projetée qui jouera son rôle d’une façon infiniment moins insatisfaisante que la réalité. Attirance pour la négligence de la famille de Tracey quand la sienne incarne une austérité intellectuelle engagée dont Zadie Smith excelle à rendre les contradictions (pauvreté apparente glorifiée mais attachée à l’ascension sociale, défense du travail quand soi-même on travaille surtout les discours de sa posture d’intransigeance, qu’on aime en général mieux qu’en particulier…). Les deux amies partagent surtout une illusion, celle de la danse qui apparaît surtout comme une représentation dont la narratrice ne peut s’empêcher de tracer la généalogie. Smith retrouve alors avec bonheur ses termes de prédilections : la danse devient une manière d’interroger l’amalgame des héritages. Là encore comme la représentation d’une illusion.

Nous ne retrouvons alors la valorisation de la contre-culture chère à Smith. Disons que son histoire de la danse se révèle bien moins académique que celle de La danse sacrale de Carpenter qui en dessinait pourtant une ébauche de métissage. Une des ambitions de Swing time est de pastiche la comédie musicale. Notamment, comme celle qui donne son titre au livre, celles, douteuses, où les blancs se grimaient en noirs. L’ombre du métissage toujours. La partie africaine, peut-être un peu pesante dans sa caricature de l’humanitaire pratiqué par une star (Aimée dont la narratrice deviendra Le double de l’ombre envieuse et destructrice) met aussi ceci en scène.

J’étais capable de transformer le temps en phrases musicales, en rythme et en notes, ralentissant et accélérant mon existence, enfin, au moins ici sur scène.

La tension vers la danse admirablement approcher dans Swing time se revele comme son penchant le plus lumineux. Avec une savante discrétion, la question de l’identité s’amalgame a celle de la temporalité. Une question de timing selon le vocable plus simple employé par Smith dans son style à la transparence syncopée. L’émotion apparaît quand on ne s’y attarde pas, comme lors de l’ultime scène, 》une histoire à peine écrite sur le papier – une histoire que l’on ressent 》.


Merci aux éditions Gallimard pour cet envoi
Swing time (parution le 16 aout 18, trad Emanuelle et Philippe Aranson, 469 p, 23 euros 50)

 

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