Maunten Drusilla Modjeska

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Un cheminement à travers les représentations qu’elles soient ethnographiques, artistiques, politiques ou humaines. Maunten prend en charge la pluralité de l’Histoire de la Papouasie Nouvelle-Guinnée par le récit du devenir d’un groupe de personnages autour du pôle magnétique d’une montagne. Drusilla Modjeska signe un roman magnifique, une vision plurielle de l’indépendance d’une nation et surtout ce qu’il advient de nos rêves.

Rien que pour la destination, il faudrait lire Maunten. La Papouasie Nouvelle-Guinnée où l’île de tous les rêves, le terrain de toutes les représentations, l’endroit où l’art deviendrait une façon d’appréhender le monde. Au fond, c’est tous les visages de ce mythe que travaille Drusilla Modjeska. « et nous nous sommes retrouvés associés au mythe : un peuple aussi étrange que ces oiseaux ». La première incarnation de ce mythe est le fantasme surréaliste autour de cette île. Le roman a la très bonne idée de reproduire la carte du monde sur laquelle les surréalistes (André Breton surtout je crois) corrigea la place que chaque pays devait avoir selon son étendue dans son imaginaire. Quasiment pas d’États-Unis effacés qu’ils sont par le Mexique mais une Russie colossale, une Angleterre nettement plus petite que l’Irlande, et donc une immense Papouasie Nouvelle-Guinée. Une belle façon d’interroger nos représentations du monde qui font penser à À la lumière de ce que nous savons. Mais le mythe ne va pas sans ses déboires, à distance l’idéalisation paraît toujours un peu douteuse. On sait la vision passablement sexiste de la femme-enfant colporté par une partie du surréalisme, la glorification de cette folie qu’on enferme mais qui pousse à abandonner Nadja quand la poésie ne l’en guérit point. Si les surréalistes furent parmi les premiers à accorder une place énorme à cette île, Drusilla Modjeska souligne qu’ils n’y ont jamais mis les pieds. Si des spécialistes à la meilleurs mémoire que la mienne passe par-là, je me demandais si Éluard lors de son tour de monde n’y avait pas fait escale ou si Philippe Soupault, plus tard, n’y passa pas. Qu’importe. De loin tout est beau. Profitions de l’occasion pour rappeler qu’un des seuls à ne pas céder à cette fascination pour le primitif, à son lucratif commerce aussi au passage, fut René Crevel. J’invite le lecteur à découvrir ses protestations, par le corps toujours, notamment dans cet article : La négresse au bordel. Ce qui intéresse Maunten, et qui pour ma part me passionne, est la survivance de cette image. Le roman parvient à restituer la manière dont les petits blancs, Léonard, ethnographe livresque et oxfordien, et Rilka, hollandaise photographe à la dévorante stérilité, peine à se déprendre de cette image. Une grande réussite de Drusilla Modjeska est alors de reconstituer ce climat si particulier, avec une certaine panique dans sa croyance en l’immuable (l’autre nom du désir de représentation), de ces expatriés plus ou moins coloniaux, déchiré par leur conscience de n’être plus à leur place (un autre vecteur artistique, je crois, passé ici sous silence). Une atmosphère un peu surannée, celle des amours exotiques, passions moites sous le poids de l’interdit, rumeur et surveillance de ces communautés fermées, plongées dans un monde universitaire partout similaire. On pense parfois à cette atmosphère croisée dans Le grand incendie de Shirley Hazzard ou à sa survivance acculturée dans Avant le bouleversement du monde de Claire Messud.

L’histoire qu’elle lui a fournie lui a rappelé ce qu’il aurait dû toujours savoir, ce qu’il sait : ce sont les formes, les contours, le profils de choses, les espaces vides entre elles qui comptent.

Avouons cependant que la première partie, une grande part du premier tome situé entre 1968 et 1973 est celle qui m’a peut-être la moins passionnée. Les amours entre Rilka et Aaron, le poids de la culture, le tabou du métissage, ouais. Une partie indispensable pour, dans son extériorité assez elliptique, mettre en place les prémisses du drame et expliquer, pour employer le maître mot de ce roman, le cheminement de chaque personnage. Maunten n’est jamais aussi captivant qu’en haut de la montagne qu’il lui donne titre. Drusilla Modjeska parvient à nous captiver quand elle interroge les impossibles représentations d’une mission ethnographique. Leonard, alors son mari, filme son enquête ethnographique chez ces papous peu étudiés. Sa femme, pénétrée d’une culpabilité adultérine, en fera des photographies. Une des très bonne idée du roman est de souligner que Léonard parviendra, malgré tout pour reprendre le maître mot de Breton, à une représentation de ce peuple par un montage qui invente des doublures moqueuses. Un jeune papou mime celui qu’il le filme, parodie son ridicule désir d’appropriation. On sent alors la sympathie et la connaissance de l’autrice pour ce milieu dont elle nous restitue les mythes et les croyances, cette obstinée appartenance à la terre et l’intangible beauté de ces représentations artistiques, les tapas si fascinants.

Nous avions travesti nos rêves en cadeau, en services rendus pour nous sentir utiles, nous les avions maquillés en recherches universitaires, en pratiques artistiques ou cinématographiques, mais ils n’en étaient pas moins puissants, voraces, aveugles. Nos rêves n’avaient-ils pas également une origine secrète en nous ? N’étaient-ils pas issus de notre propre convoitise ? De notre manque de stabilité, de terre, notre insatisfaction vis-à-vis de notre lieu d’origine ? De notre vacuité, peut-être.

L’activité ethnographique de Michel Leiris, un autre surréaliste, tourna obstinément autour de cette question : quel profit tirons-nous de notre rencontre avec cet autre majuscule, avec le truisme de l’ailleurs ? Drusilla Modjeska lui trouve, pour ainsi dire, une descendance. Pour donner une représentation de cette « terre de dissemblance » du poète WH Auden, elle reprend l’action en la focalisant sur les halfcas, le terme papou pour dire les métisse (les half-castes). Milton, un romancier émule de Baldwin, se nomme alors un halfcast existentiel. On pense alors aux espions de Javier Marías en tant qu’outcast of the universe pour emprunter cette fois à T.S Elliot. Jéricho, dont le cheminement emprunte au mythe biblique de sa route, revient dans son pays, un étranger familier, un natif déraciné. Ce point de vue donne alors une image de la complexité de la Papouasie Nouvelle-Guinée après l’indépendance. Le fric, le rapport sacré à la terre devient une marchandise. Les mêmes représentations se survivent à elle-même, pour trouver sa place, suggère l’autrice, Jéricho devient marchand d’art. Les rapports amoureux complexes se produisent. Il tombe amoureux de Bili, avec qui il a été éduqué. Un personnage féminin, avocate de tous les expropriés, fort et complexe. Elle permet à l’autrice d’interroger le confort, pour les petits blancs éduqués, de continuer à la possibilité d’une magie, de maintenir le peuple dans des croyances obsolètes pour mieux faire oublier que nous n’avons aucune autre représentation du monde à leur proposer. Une vision passionnante de ce pays, somme de tous ses visages et de ses multiples contradictions.



Un grand merci Au vent des îles, édition Pacifiques, pour l’envoi, depuis Tahiti, de ce grand roman.

Maunten (trad : Mireille Vignol, 564 pages, 21 euros)

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