Écrits de chambre et d’écho Gérard Titus-Carmel

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Oublis et silence, portrait de soi dans l’autre et mémoire personnelle dans ce qui échappe, dans un legs autobiographique dont l’auteur sait faire une présence critique. Cette somme d’articles « littéraires » brille de l’appropriation des hantises, des absences, des itérations, pas uniquement sémantiques, auxquelles Gérard Titus-Carmel rend la présence et l’évidence. Qu’il parle de Michon, de Reverdy, d’Hart Crane, de Roud… le peintre et poète met admirablement en lumière tout ce qu’il peut faire sien de ses univers, peut dire dans ce décalage à soi, sans soi, qu’est l’écriture.

Si on ne craignait pas une approche par approximation sonore, on dirait ceci : voici un livre qui m’importe, m’apporte, m’emporte. Une façon de d’abord souligner un plaisir indéniable, emporté même, de me plonger dans Écrits de chambre et d’écho. Pour donner une image de cette jouissance de lecture, il me faut emprunter au souvenir du plaisir à me plonger dans les essais de Blanchot. L’impression d’une rencontre, le contact avec une sensibilité qui vous touche, vous inscrit même dans une certaine filiation (il se dégage de ce recueil une obsédante présence du Père, une absence du corps). Un sentiment de reconnaissance qui ne va pas sans un certain décalage : « Et si, en définitive, l’écriture était cette fissure, ce jour béant entre moi et moi ». La présence, tutélaire je crois chez Gérard Titus-Carmel, de Maurice Blanchot n’est ici pas un hasard. On retrouve ici ce désir ardent, on oserait même existentiel, de dénuder la geste de l’écriture, d’en saisir l’essence, d’en parler aussi parfois un peu aussi comme une abstraction, un objet intangible dont les ratures, repentirs, oscillations et dénis sont sciemment passés sous silence.

Ma lecture, sans doute un peu désordonnée, s’est comme appropriée ce décalage. Un exercice d’ignorance et de proximité. Possible peut-être parce qu’il me faut confesser ignorer tout de l’univers de l’auteur. Ses écrits, disons, critiques m’ont tant touché que la découverte de sa peinture et de sa poésie restent pour moi en souffrance, en l’attente d’une rencontre. Pour faire simple, je me refuse à contempler ses tableaux au hasard d’un algorithme et d’approcher surtout son travail par une pâle reproduction numérique. Dans l’attente de découvrir une de ses expositions, de lire un de ses livres dont, comme un accompagnement, un écho intime, il signerait infiniment plus que l’illustration. Cette attente, cette disponibilité étant, précisément, en partie, cette disponibilité poétique dont Gérard Titus-Carmel fait le point aveugle de son recueil d’articles. Échelonnés entre 1992 et 2019, ces articles creusent un sillon, ne se laissent pas prendre à une évolution mais inventent, je crois, la réitération que l’auteur sait être cette vacance à soi (cette viduité ?) au centre de toute coïncidence à soi, de toute création aussi.

nous reconnaître à ce point d’absence infinie où s’origine en nous le sentiment de poésie, nous qui sommes vacants mais toujours douloureusement prêts à l’accueil.

Une façon d’avoir prise sur une œuvre, surtout la démarche et l’exigence qui la tendent, semble être pour Titus-Carmel d’insister sur ce qui revient. Non tant ce qui s’impose à l’auteur, les thèmes dont il ne parvient pas toujours à s’extraire, mais plutôt, sur les brisées d’une hantise du critique, tout ce qui pourrait « rendre crédible la fable de notre présence au monde. » Ce qui revient et se répète est alors ce corps qui cherche sa place, son évidence, son expression. Gérard Titus-Carmel insiste, à juste titre je pense, sur l’importance des mots qui reviennent chez les auteurs sur lesquels il se penche. Écrits de chambre et d’écho contient plusieurs textes longs assez pour constituer des essais. Il s’y développe une approche que l’on pourrait, dans une première approximation, dire comme en quête d’une poétique personnelle. Il faudrait alors définir cette étrangeté en dialogue, entre absence et rares évidences, du personnel qui transparaît dans tout ce recueil. On échappe pas tout à fait à ce que, dans une seconde approximation, j’approche comme une ombre malgré tout de lyrisme. Jeu volontaire sur la confusion du terme : Gérard Titus-Carmel revendique une vraie proximité avec des poètes de la retenue, de l’effacement, de la précision afin d’éclairer ce manque qui nous éclaire. Citons au moins Reverdy pour parler d’un poète dont l’œuvre continue à m’accompagner. L’essai que lui consacre Titus-Carmel éclaire alors ce lyrisme de l’appropriation : il convient de parler de soi, de dépasser ainsi ce moi mesquin des instants nuls pour causer comme André Breton. L’auteur le fait dans un jeu de parenthèses, d’italiques où il entremêle des souvenirs ainsi rendus personnels par ce qu’il nomme du très joli terme de « legs autobiographique ». Pour « fournir une preuve de sa peu crédible présence au monde » le poète et peintre a recours malgré tout à l’ombre du lyrisme. J’aime assez, et ce d’une manière particulièrement sensible dans son long essai biographique (et donc autobiographique) sur Hart Crane qu’il se laisse aller à la métaphore, à la sonorité des mots, à cet excès d’union si convulsivement désiré par l’objet dont il parle. Foin de la la distance critique, loin de ce dont on  parle on n’y comprend rien. Au fond, dans un raccourci « lyrique », il s’agirait pour Titus-Carmel de passer, d’inventer une simultanéité sans opposition comme celle entre son travail (selon ses mots le prix à payer pour reconnaître un peu de grâce, « de l’effusion lyrique à la mise en abyme de la langue. »

Un jeu d’échos donc dont, dans ce carrousel de textes, l’intime séduit. Écrits de chambre, cheminement de toute une vie dont la gravité « apparaît chaque fois que l’auteur se fait une révélation au-dessus de lui -même » quand « seule l’écriture se fait écho de son être séparé dans sa bulle d’absence. » Toutes les lignes de Titus-Carmel sont alignées par cette absence et cette perte. Il met, souvent entre parenthèses donc, en scène ses souvenirs comme un legs autobiographique. Mémoire collective, atavique et ancestrale, toujours au-delà de soi dans la « mémoire et l’oubli des mots qui l’agencent. » On aime assez que cette parole critique (souvent si pertinente pour Michon, Echenoz ou même Del Amo) laisse un jour, une béance, à cette fiction où le moi prétend trouver sa place. Au fond, pour dire tout le charme d’Écrits de chambre et d’écho il faudrait dire que Titus-Carmel très souvent y touche cette part de moi qui me dépasse, celle que j’ignore ou oublie et qu’il me faudrait d’autres mots pour laisser clairement (comprendre avec cette agitation du langage seule apte à mettre un peu de vrai dans tout ceci) s’exprimer cette part de legs autobiographique tant « nous ne pouvons être que les chroniqueurs des premiers fragments mis au jour de nos vies. »



Une immense reconnaissance à l’Atelier contemporain pour l’envoi de ce livre indispensable.

Écrits de chambre et d’écho (préface de Thomas Augais, 640 pages, 30 euros)

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