Le dit du Mistral Olivier Mak-Bouchard

La magie à fleur de terre, de vent, de langue. Une source découverte par hasard et le souvenir revient. La nature impose ses rêveries, ses rites et exorcismes. Récit tout de délicatesse, par des brefs instantanés, où tendresse et pudeur laissent sourdre l’émotion, Oliver Mak-Bouchard invente une archéologie, rieuse, de soi, du monde, met en majesté le Lubéron dont il exhume la venteuse beauté, tout de conjuration du malicieux mistral.

On pourrait, pour aborder ce très beau premier roman, s’épuiser à le limiter à ses références. On pense bien sûr à Giono, on pense, paraît-il, à Mistral et à Bosco. Personnellement, j’ai pensé aussi au Manu Larcenet du Retour à la terre pour cette façon de ne pas se prendre au sérieux, moquer un peu aussi cette exaltation de la grande Nature, de son virilisme à la con. Un des lieux-communs de la critique est de soumettre un premier roman au jeu de ses influences, de sous-entendre au passage que son auteur que son auteur n’est pas encore capable de s’en détacher. Le dit du Mistral choisit de l’afficher, de citer en exergue de chacun de ses courts chapitres ce qui aurait pu être une présence encombrante. Comme dans tout bon roman, il s’agit d’une confrontation à une présence possible. La plus évidente reste celle d’une région : le Lubéron. Oliver Mak-Bouchard dépasse allégrement l’écueil du régionalisme. Sans doute par sa façon de ne pas éluder le pittoresque (Noël en Provence, canicule et incendie) mais de se l’approprier comme un arrière-fond où se définir. Le personnage découvre une source, se noie pratiquement dans les recherches et rêveries qu’elle inspire. Façon d’inventer un rapport au lieu. Un ici qui s’invente comme un fragile accord avec la mémoire.

C’est l’histoire d’un prince dans son royaume. Son royaume est partout, il arrive à le recréer, à le transporter avec lui, à le transbahuter entre ses neurones, où qu’il aille.

Le ton acidulé de ce très beau roman (saluons le travail éditorial du Tripode qui en a fait un objet magnifique) sert surtout, je pense, à signaler les failles. Solitude et désir de croire : le passé affleure dans ce récit avec la délicatesse de ce que l’on ne parvient jamais entièrement à énoncer. La mort du frère, l’éloignement, surviennent en écho avec les vestiges gaulois découverts dans d’épique fouille clandestine. Pour que la magie opère, dans sa trompeuse évidence, Oliver Mak-Bouchard en restitue le rendu, saveur et sonorité. Le texte se truffe d’expressions en provençal, de la liberté d’une parole autochtone qui, souvent, sert de chute. La langue de l’auteur se fait alors retenue quand elle évoque les liens du narrateur avec Monsieur Sécaillat, son voisin agriculteur avec qui il se lance dans l’aventure de l’exhumation d’un passé de plus en plus mythologique. Tendresse d’abord d’une confusion du temps comme on remonte aux sources du mythe. Madame Sécaillat serait frappée de la maladie d’Alzheimer. La source découverte se confondrait avec celle de Jouvence, soin momentanée tant que l’on y croit. L’auteur suggère aussi que cette source célèbre surtout les puissances de l’imaginaire. Conciliations un instant de nos failles intimes : pour elle aussi le passé revient, même si elle confond le narrateur avec son fils mort. Dans un chapitre onirique le personnage laisse apparaître sa rêveuse enfance, le refuge offert par le paysage et ses légendes. Confions-nous alors aux masques de la fiction.

Je vois que cela fait des siècles que ces montagnes sont bafouées, que ses sujets sont chassés jusqu’à l’extinction, que son existence comme sont nom ont été oubliées. Il faut que cela cesse ; sais-tu où est passé Vintur, sais-tu pourquoi il a disparu ?

Le paysage dessine une présence quand il se fait rencontre. Au seuil de la source, le narrateur découvre la sculpture d’une femme-calcaire. Élément constitutif, selon l’auteur, de la cosmogonie même du Lubéron. Elle lui inspire des rêveries qui, comme le mistral qui domine les lieux, s’envolent. Les vestiges archéologiques auraient servi à conjurer le sort, le vent. Le chant d’Olivier Mak-Bouchard devient, à son tour, lutte contre la fatalité, incarnation de la parole. Après l’humour doux et sensible, plus la source est menacé et plus le personnage se laisse prendre à ce qu’elle lui dit. On suit avec grand intérêt ses aventures dont l’auteur sait restituer l’oscillation entre quotidienneté et un merveilleux encore possible. Ethnographie des récits qui nous constitue, comme l’était – ailleurs – de Pierre et d’os de Bèrengère Cournut, Le dit du Mistral est un conte souvent drôle où s’impose la préservation de la parole, le souvenir de ce qui ne veut s’effacer.


Un immense merci au Tripode pour l’envoi de ce grand roman à paraître le 20 août.

Le dit du Mistral (349 pages, 19 euros)

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