Beyrouth entre parenthèses Sabyl Ghoussoub

Savoir d’où l’on vient en allant où l’on ne veut pas de vous ; décrire un pays dans ses contrastes, ses détestations, ses décalages et ses filiations inventées. Ou le voyage d’un libanais en Israël. Avec un vrai humour, un rien de provocation et un soupçon de forfanterie, Sabyl Ghoussoub décrit sa plongée réflexive, imagée, en Israël comme on s’éloigne de son lieu d’origine, le Liban, pour mieux y revenir.

Curieux petit livre que celui-ci tant son aspect de roman vécu parvient à incarner exactement, paradoxalement, la ligne de son éditeur. Les belles éditions de l’Antilope se fixent pour objet de rendre compte de la richesse et des paradoxes de l’identité juive. Beyrouth entre parenthèses y tend dans un beau jeu d’interrogatoire. Une sorte de provocation et de décalage, cette sensation de n’être pas à notre place, de refuser un héritage, une famille, qui plus ou moins nous rattrapent et nous hantent devient, sous la plume habile de Sabyl Ghoussoub, le seul nom possible de l’identité. Un citoyen d’origine libanaise n’est pas autorisé à se rendre sur le territoire d’Israël. On comprend que l’interdiction avive l’envie de l’auteur, sa réprobation attise alors sa curiosité. D’origine franco-libanaise, Sabyl Ghoussoub parvient assez bien, me semble-t-il, à donner une idée de ce que représente Israël pour toute une génération de français politisés : un boycott de principe, une vive détestation pour sa politique, une ardente réprobation pour l’expansion de ses colonies, une certaine fascination pour ce qui reste incompréhensible. L’auteur se fait donc établir un passeport français, vierge de toute inscription de visa dans des pays ennemis d’Israël et se lance dans l’aventure.

Moi, je ne sais même pas qui je suis. Je ne suis pas certain d’être la personne qui parle.

Sur le mode burlesque, avec un vrai sens de la provocation, ce voyage donne lieu à un interrogatoire absurde, inquiétant. En dernière analyse, l’identité c’est toujours la méfiance. La crainte panique de la ressemblance. Même si nous n’en venons pas, faute de romanesque, au non-sens si révélateur du Terroriste joyeux de Rui Zink, Beyrouth entre parenthèses montre de bel ressemblance : la seule personne à ne pas parler serait sa mère. Ce que veut mettre en parenthèses Ghoussoub c’est bien sa parentèle. Il met ainsi en lumière ce qu’il renie. « Dès notre naissance, on appartient à quelque chose de trop ». L’horreur de la famille, son souvenir qui revient quand on se sent dans ce si proche territoire ennemi. Très beau portrait du père dans son érudition, dans son art du zajal, les joutes poétiques populaires libanaises, de la mère dans son goût pour les chansons sentimentales qui reviennent au fils. L’interrogatoire sur ses liens devient une façon d’interroger sa propre place. L’influence de sa famille. « Ma place n’était pas là mais parmi les autres» Israël où l’endroit idéal pour interroger les raisons de nos fuites ?

Dès notre naissance, on appartient à quelque chose de trop.

La fuite, le décalage, l’identité que bien sûr on ne saurait accepter, devient dans ce beau récit le ferment de l’image. Le prétexte de l’interrogatoire devient une excuse à l’exégèse (l’identité juive, quand elle est fantasmée, est-elle autre chose que ce perpétuel désir d’interprétation ?) des photographies de Sabyl Ghoussoub. Le livre nous en présente une série plutôt intrigante. L’auteur y photographie des personnages, le visage masqué d’un keffieh. Pour toute une génération de français, le keffieh représentait le soutien de principe à la Palestine. On devine que ces photos, jugées peu réussies par l’auteur, sont aussi une façon de masquer son identité. Son voyage en Israël lui permet d’en redécouvrir une partie quand il contemple le Liban voisin. Sabyl Ghoussoub photographie alors par les mots tous les paradoxes de cette région, toutes les contradictions au cœur de n’importe quelle identité : ses parents sont des communistes de droite (!), des chrétiens maronites. À travers une « nostalgie contemporaine, une nostalgie du présent», Beyrouth entre parenthèses parvient à nous faire ressentir tout le paradoxe à habiter là, à continuer à ne jamais se définir que dans la tentation de l’ailleurs.


Un grand merci aux éditions de l’Antilope pour l’envoi de ce livre.

Beyrouth entre parenthèses (138 pages, 16 euros)

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