Des phalènes pour le commissaire Ricciardi Maurizio De Giovani

Sur un petit air mélancolique, le retour brillant du commissaire Ricciardi. Toujours égaré dans ses amours empêchées par les morts qu’il ne cesse de voir, toujours empêtré dans le fascisme qui s’étend dans cette Naples si vivante, cette dernière livraison de Maurizio De Giovanni captive le lecteur. Des phalènes pour le commissaire Ricciardi creuse la perfection de son sillon : un polar poétique, politique, sensible à tout ce qui ne veut pas passer.

Depuis L’automne du commissaire Ricciardi, je découvre avec un grand plaisir toutes les enquêtes de ce commissaire hanté par ses morts, par sa capacité à en saisir les dernières paroles. Depuis L’enfer du commissaire Ricciardi, Maurizio De Giovanni n’insiste plus exagérément sur le caractère surnaturel de ces visions. Le deuil se propage, d’autres personnages ont des visions. Maurizio de Giovanni parvient à faire de ses enquêtes une manière de temps suspendu, une description sensible des saisons éphémères telles des phalènes. Il sait, sans doute, que rien ne se renouvelle vraiment, tout se répète avec de ses infimes différences que l’on appelle nos vies. Le polar c’est peut-être la certitude que toutes les intrigues se ressemblent, que tous les meurtres répondent à la même faim. Toutes les enquêtes du commissaire Ricciardi se ressemblent donc, là est leur charme. On se retrouve en terrain conquis, on est bien et on continue à totalement se laisser prendre. Nuits de septembre, entre rêve et cauchemar, derrière une chanson qui suggère à quel point les amours du commissaire sont eux aussi un fragment d’un discours amoureux déjà entendu, qu’il appartient pourtant à chacun d’interpréter comme unique. Livia, la riche chanteuse lyrique est toujours amoureuse de Ricciardi, Erica, sa voisine qu’il ne cesse de regarder n’osant l’approcher, hésite face à sa rencontre d’un officier nazi. La situation n’évolue guère, Maurizio de Giovanni parvient à la couler dans l’intrigue, à n’en point faire un prétexte d’une vulgaire reconstitution.

Les saisons et leur atmosphère, les peurs partagées par chacun des personnages suffisent à planter le décor. Naples dans les années 30, le fascisme qui s’installe, le nazisme qui en donne un modèle nettement plus offensif. Le commissaire passe à travers, un regard compatissant derrière ses yeux verts d’outre-monde. Sa tante est morte, elle revient hantée sa nièce qui tente de s’y substituer pour soutenir le commissaire. La vie, simplement. Maurizio de Giovanni fait preuve de la même tendresse dans le traitement de l’arrière-fond de son intrigue policière, résolue bien sûr comme une intuition, le passage de ce que peuvent encore nous dire les morts. Une fois encore Maurizio de Giovanni suggère nos impuissances à les sauver par un dénouement sans la moindre victoire. Sauf peut-être pour le lecteur qui passe un moment délicieux et inquiet dans la compagnie de son imparable commissaire. Laissez-vous y prendre comme à toutes les précédentes enquêtes.


Merci aux éditions Rivages/Noir pour cet indispensable polar.

Des phalènes pour le commissaire Ricciardi (trad Odile Rousseau, 394 pages, 22 euros)

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