Coupe-le Corinne Lovera Vitali

Histoires de séparations, de sexe, de coupure des mots morts, des voix de l’angoisse. Dans la rumination d’une prose hantée, dans la reviviscence de souvenirs de désirs, de peurs, de contacts effleurés et déjà perdus, Corine Lovera Vitalie décrit, patiemment, sans virgule, la terrassante angoisse de son rapport à l’autre. Espoirs et désillusions, la sexualité mise à nu, Coupe-le ou l’écoute de la séparation d’une voix singulière.

Étouffante plongée dans une conscience dans laquelle – si nous n’étions plus sagement distancié de nos désirs de drame – il sera si aisé de se reconnaître. Au moins pour ceci, pour cette hantise qui devrait animer tout écrivain : trouver dans la langue employée d’exactes résonances intimes, la séparée d’une vision convenue, donner poids et corps à l’angoisse qui sous-tend tout prurit d’expression. Le projet poétique, disons, de Coupe-le est alors profondément séduisant. Trouver le vacarme des mots simples, ceux que la narratrice (on préfère se garder de la confondre avec l’autrice car la césure au centre de cette parole est sans doute aussi de se couper de soi) croit trouver pour parler à Léo, un de ses anciens petits amis, un des premiers à incarner ce désir de trouver un langage vivant pour dire l’enthousiasme des rencontres, la conscience séparée qui, déjà, les hantait. « il ne se dit déjà plus que des mots vidés des morts on a accepté déjà que les mots anciens qui ont été mangés par la bouche des bourreaux sont morts avec les morts on ne dit plus rien. » Le torrent de la prose de Corine Lovera Vitali invente alors d’autre disjonction. Sans virgule, sa syntaxe efface les subordinations, les liens de dépendances, les trop plates logiques de cause à effet.

l’obstination avec laquelle nous avons du sexe brut sans caresse sans tendresse sans lenteur sans langueur sans paroles du sexe de brutes où jouir à répétition répète le présent et tient à distance le passé je connais mes raisons je ne connais pas les siennes tenir à distance le passé et tenir les comptes je sais faire je tiens éloignés de moi les singes qui ne peuvent mentir je sais tenir écartée l’enfant trompée

Revenir, alors, sans cesse aux instants de séparations, où la conscience s’invente en se clivant. Toujours, dans ce livre, dans une malaisée étrangeté au monde. Mais si la langue n’en démonte pas les fausses évidences, sans doute ne fait-elle pas littérature. Coupe-le ou comment l’on survit aux magnétiques attractions, tout ce qu’il en reste une fois que l’on s’en sépare. « où je commencerais à m’approcher de l’angoisse et je commencerais à peine de cesser de vivre sans être là.» Malaise profond et indissoluble de la narratrice, approche d’une angoisse à laquelle elle rend tout son poids, sa gravité et son opacité. Ses figures de fiction peut-être même ne puis-je m’empêcher de penser avec une pensée pour le si énigmatique de Cristina de Cristina Caloniz. Se séparer des figures obligées du discours. Chez Corine Lovera Vitali la sexualité reste la béance en quête d’une langue, un oubli de soi quêté avec une obstination non tant maladive que révélatrice d’une solitude contre laquelle la narratrice ne sait ni lutter ni se résoudre. Les souvenirs du père, l’ombre entêtante d’un enfant mort, les lumineux souvenirs d’enfance, les sanglants amours avec un maître-nageur-sauveteur survivaliste et intoxiqué ; la prose ne vaut-elle que par le rapport à l’autre qu’elle ne cesse d’implorer, d’inventer dans ses variations ? Coupe-le le fait dans un joli, très sombre et angoissant, débordement. Récit d’un mal-être peut-être, mais sans aucun doute récit d’une façon d’être.


Merci aux éditions MF pour l’envoi de ce livre.

Coupe-le (101 pages, 15 euros)

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