Le roman de Genji Murasaki Shikibu

Roman de la délicatesse volatile des sentiments, de leurs mensonges aussi, du souci de l’exquis dans toute son indifférente fatuité. Roman de la délicatesse et de la suggestion, Le roman de Genji ou la jeunesse de Genji est une des premières pièces à l’édifice de la construction romanesque de la psychologie. Entre euphémisme et allusions souvent un rien hermétique, Murasaki Shikibu nous dépeint un monde qui nous demeure délicieusement étranger.

Après le si intéressant Pénombre de l’aube de W.EB Du Bois, la belle collection Compagnons de voyage des éditions Vendémiaire continue à nous offrir des textes d’une très grande importance littéraire et artistique. Comme pour l’autobiographie de Du Bois, ce roman m’a captivé justement dans tout ce qui dépassait, totalement ou partiellement, ma compréhension. Il est bon de tomber sur des livres que l’on se sent inapte à qualifier tant on ne sait si on n’en n’a saisit l’essence, tant leur difficulté confronte à la facilité avec laquelle on jauge ordinairement un roman. On excusera donc mes approximations et autres possibles contre-sens. Le roman de Genji serait donc un texte fondateur au Japon, un peu ignoré en France sans doute parce que ce roman du XI siècle ne correspond pas exactement à la sensibilité de son époque de parution. Nous sommes loin de Chrétien de Troye ou autres romans courtois. Encore que. Sans doute par la brillante traduction de Kikou Yamata, il m’a semblé que ces neufs premiers chapitres du Dit du Genji avait un phrasé très Grand Siècle, une élégance dans la litote et l’euphémisme très classique. L’évidence face à cette référence au XVII siècle serait de penser à La princesse de Clèves. Avouons, questions d’inclination, penser davantage aux Liaisons dangereuses. Peut-être parce qui frappe dans ce roman de Murasaki Shikibu est l’absence de morale avec laquelle elle décrit les différentes aventures amoureuses de Genji. Roman d’une moraliste, sans aucun doute puisqu’il tend à décrire la vie de la cours, sa magnificence, ses poèmes exquis où l’on déguise ses sentiments sous la sûreté de sa calligraphie. Confessons-nous être un peu perdu dans les différentes amours du prince, dans la manière dont leur accumulation finit par suggérer sa grande ambivalence morale.

Si j’étais un vulgaire mortel,/Moi qui contemples la beauté de cette fleur/Je n’éloignerais pas longtemps de ses doux pétales/ La rosée de l’amour.

On suit donc les différentes conquêtes de ce Prince en quête de lui-même. On poursuit surtout l’éveil de sa sensibilité. Même en traduction, la tension vers la beauté (sans jamais perdre l’ambiguïté de toute esthétique) est parfaitement restituée. Chaque femme est à la fois un caractère et une fleur ou une couleur. Sa séduction tient à une joute oratoire. L’amour ne semble y exister que comme un déguisement, une souffrance peu partagée. Jamais sans doute on ne saura si Murasaki Shikibibu la rejette fatalement. Il faut se laisser prendre à cette atmosphère de magie et de malédiction, d’éloignement aussi à ce grand texte si souvent difficile à saisir mais dont les enchantements perdurent.


Un grand merci aux éditions Vendémiaire pour l’envoi de ce roman.

Le roman du Genji (trad Kikou Yamata, 331 pages, 20 euros)

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