Lettre à un ami heureux aux Enfers Maczka Hervier

À l’écoute du silence déraisonnable du monde, dialogue avec celui qu’on a été, avec nos surdités, nos mythes – celui de Sisyphe – de nos imaginaires, des crises mais aussi les instants de relâches que l’on pourrait nommer bonheur. Maczka Hervier signe un magnifique texte composite (entre essai, récit et poème) d’une grande unité inquiète. Lettre à un ami heureux aux Enfers offre, dans son discours à l’absence, une autre manière, minérale, d’être au monde : l’imagination d’un bonheur infernal, à l’ombre des répits de l’absurde.

J’aime beaucoup les livres composites, tenus par une opposition interne et qui, par différents types de discours, souligne la cohérence des contradictions. Ce que propose, je crois, ici Maczka Hervier est une manière de dialogue avec celui qu’on a été, avec la pureté de nos primes découverte, avec les manières dont on survit à la crise, dont on persévère, tel Sisyphe, dans les répétitions et les rechutes de l’enthousiasme. Il est une sorte de préservation, une atmosphère de secret qui se développe dans ce nouveau très beau livre des éditions Dynastes. Sa construction composite devient une échappatoire, un sens heureusement suspendu. La littérature est ce qui parle en silence, se tait pour mieux parler aux sourds. Maczka Hervier porte la parole à son incandescence, à ce peu qu’il en reste comme le faisait, donc, Pola Martinez dans Tout peut faire cendres.

L’humain n’a que deux issues: c’est la terre ou l’imaginaire. Ami, voici mon invitation : l’imaginaire offre parfois quelques sensations réjouissantes.

Imaginons donc Sisyphe heureux comme le voulait Camus dont Lettre à un ami heureux aux Enfers offre une exégèse pointue. Imaginons que Sisyphe, quand il redescend de sa montagne, derrière sa pierre retombée, éprouve une sorte de bonheur, un répit que tout le livre – me semble-t-il – écoute comme le silence déraisonnable du monde. Je crois qu’il ne faut pas prendre la partie centrale de ce livre comme une stricte explication de son récit puis de son poème. Goûtons l’idée qu’il s’agisse d’une autre voix, une bifurcation, voire une autre façon de pousser sa pierre, de subsister à la crise absurde, un imaginaire pour exister encore- au-delà de l’interrogation sur le sens de la vie, son improbable émancipation dans le bonheur, d’une manière, nous dit Maczka Hervier, d’une manière proprement humaine. Récit alors d’une amitié adolescente, de la transmission d’un livre, de cette possibilité de bonheur quand deux amis prennent des chemins différents.

Comment ne pas entendre que sur toutes les terres que l’homme a fait siennes – donc sur toutes les terres du monde -, comment ne pas entendre que ça « grogne », , que ça cogne, que ça crie ? Jamais cette inquiétude ne me quitte.

Le narrateur du récit se voit affecté d’une sélective surdité. Il n’entend que la plénitude de la parole et de la musique. C’est peut-être aussi ceci, Sisyphe heureux : un homme qui se soustrait au bruit du monde. Cessons d’imaginer, peut-être, qu’autrui parle notre langue intérieure. « On juge un homme : on imagine qu’il nous entend, qu’il nous comprend. C’est faux. C’est même impossible. » Comme tous les grands livres, sans doute, Lettre à un ami heureux aux Enfers s’adresse à notre déraison. Êtes-vous fou ? Sinon… affirmait déjà Crevel. « C’est vous les fous. On ne se parle pas en fait.» On se transmet des impressions, des sensations au détour d’un geste. Peut-être. Écartons-nous un instant du bruit du monde (« le bruit de l’homme qui a détruit le monde.») Maczka Hervier semble nous dire que nous sommes plus que ce que nous faisons (pousser une pierre en haut d’une montagne avant qu’elle ne retombe, recommencer, survivre à la conscience de notre absurdité). Il reste à imaginer Sisyphe heureux, à le dire dans son théâtral, et canin, chaos : un chien qui rapporte sa balle. Notons aussi, sans être parvenu à totalement l’analyser une très belle réflexion sur le rapport à l’usine, l’asservissement au travail comme autre symptôme les plus patents de cette crise de l’absurde journellement traversée.


Un grand merci aux éditions Dynastes pour l’envoi de ce très beau récit – essai -poème.

Lettre à un ami heureux aux Enfers (112 pages, 13 euros)

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