La nuit tombée sur nos âmes Frédéric Paulin

Frédéric Paulin poursuit son exploration des manipulations et des violences historiques. La brutalité des faits, de la répression policière, du contre-sommet du G8 à Gêne, en 2001, lui fournit alors une trame exemplaire. La nuit tombée sur nos âmes, animée d’une saine colère, montre l’enchaînement tragique et plonge le lecteur au cœur même d’une mouvance contestataire justement décrite.

Il est des livres qui, soudain, vous renvoie à votre âge tant ils dépeignent une partie de votre jeunesse : Rage again the machine et Manu Chao, les toto et la LCR. Carlo Giuliani comme premier martyre d’une répression sauvage de ceux, altermondialistes de tous poils, qui pensaient un autre monde possible. Dans sa très renseignée trilogie sur la guerre d’Algérie (La guerre est une ruse et La fabrique de la terreur), Frédéric Paulin envisageait tous les prémisses du 11 septembre 2001. Avec lui, il semble que nous pourrions dater le début du XXI siècle à ce contre-sommet. Car, bien sûr, La nuit tombée dans nos âmes ne renvoie pas qu’au passé. Le roman offre aussi une image saisissante de notre présent. On pourrait la construire par une question de dénomination : la lente construction par le pouvoir de ce qu’il nomme, pour effrayer le citoyen black bloc. Cette mouvance, très largement infiltrée selon l’auteur, si tant est qu’elle se qualifie, se nommerait plutôt autonomiste. Avant que le discours étatique l’emporte, on les appelait encore les toto. C’est surtout à eux que Frédéric Paulin s’intéresse. Et ça marche. Comme à son habitude, le romancier fait un travail quasi documentaire. On peut d’ailleurs se demander si parfois il ne va pas trop loin, si le romanesque, disons la stylisation du réel par une mise en intrigue et écriture ne s’efface pas un peu trop. Peut-être que ses autres romans, dans un contexte par moi un peu moins connu, procédait de la même manière. Derrière l’urgence, une indéniable capacité à restituer l’ambiance des manifs qui dérapent, le surgissement de la violence, j’ai trouvé les personnages un peu plats, pas assez déchirés, qui sait un peu trop représentatif d’une époque.

En marge du milieu universitaire rennais, le militantisme, les guerres de chappelles. Wag est à la LCR, il est séduit par Nathalie. Bien sûr, tout ce petit milieu est noyauté jusqu’au trognon. Par contraste, comme pour explorer d’autres croyances, d’autres engrenages, Paulin donne vie à Laurent Lamar, plume de Chirac qui l’admire sans condition. L’auteur est à son aise dans l’effarante duplicité du pouvoir. Comédien caméléon, Chirac tente de se singulariser, moins de comprendre l’alter-mondialisme que de s’imposer par un capitalisme oxymorique à visage humain. Opportunisme. Lamar veut lui aussi s’imposer, il part à Gênes, referme le piège sur Wag. Mécanique bien huilée d’un récit auquel il est difficile de ne pas se laisser prendre. Vingt ans avant nous, les forces de polices italiennes sont gangrenée par le néo-fascisme, eux contre nous, la chasse aux communistes, la violence paisiblement légitimée. La nuit tombée sur nos âmes parvient alors à nous communiquer l’effarement de la nudité des faits, la barbarie à nos portes, l’insupportable violence de ceux censées l’endiguer. Frédéric Paulin signe un roman très noir, simplement en se contentant des faits, de comment, encore et encore, on instrumentalise nos peurs du désordre, du chaos ainsi provoqué.


Un grand merci aux éditions Agullo.

La nuit tombée sur nos âmes (272pages, 21 euros 50)

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