Lunar Caustic Malcom Lowry

Roman de la déchéance métaphysique ; l’intime horreur de la privation thérapeutique de l’alcool et la découverte – insoutenable – de celui qu’on ne saurait être. La redécouverte de ces deux états d’un même texte, un court roman, permettent de comprendre comment Malcom Lowry transmuait un vécu individuel, comment il en faisait le reflet de ses peurs, de ses obsessions d’un sens supérieur. Lunar Caustic : grand texte sur la densité de nos enfermements psychiques, de la profonde et commune humanité touché à les laisser sourdre.

Causons un peu vie éditoriale. Ne serait-ce que pour saluer l’initiative des éditions Maurice Nadeau : faire revivre leur immense fonds par la création d’une collection poche. Idée qui commence en beauté avec Lunar Caustic de Malcom Lowry. Promis, je vous parle très vite des Wagons rouges de Stig Dagerman qui prend sa suite. Important me semble-t-il de rendre hommage au travail de découvreur de Maurice Nadeau, important aussi de ne pas le faire en vivant sur des restes, en faisant de la littérature un objet patrimonial. On le sait, Nadeau fut un des premiers, à parler, à soutenir, à publier, l’oeuvre de Malcom Lowry. Il me semble important de ne pas lire seulement sa pièce maîtresse, Au-dessous du Volcan. Certes, dans Lunar Caustic reviennent en obsessions redondances et revenances. Le même livre, qui sait, écrit avec les bribes d’une existence effondrée, pour la mettre à distance, en comprendre égoïsme et souffrance, l’inscrire dans des thèmes qui la dépasse. On pressent, surtout dans la dernière version, les arrières-mondes de cette angoisse cosmique qui est la patte de Lowry.

Ne comprenez-vous donc pas l’horreur, l’horreur de l’homme qui accepte sa propre déchéance ?

Soulignons quand même l’intérêt d’avoir la première version de ce texte, intitulé, allez savoir pourquoi, Le Caustique lunaire. Expérience d’ailleurs, assez curieuse de lire deux fois le même récit, d’en comprendre un peu mieux la trame dans la seconde version. Nous ne croyons pas faire preuve d’une grande originalité en soulignant que la première nouvelle, destinée à être vendue, écrite ainsi pour pallier au manque d’argent, est pour cela plus optimiste. On aime pourtant profondément comment le changement dans une formule change la perspective, la rend moins étroitement personnelle. Dans la première version, le personnage Bill Plantagenet (joli nom) découvre, dans les autres convives de Bellevue, le new-yorkais hôpital psychiatrique où il fait une cure, « une part de l’obscure signification de sa vie. » Dans la seconde version, traduite également par Claire Francillon (sans doute n’est-ce pas anodin), cette même phrase est devenue ceci, Plantagenet, comme nous tous, est « un fragment de l’ombreuse signification de leur vie. » Le lecteur patient pourra s’amuser à relever de signficatifs changements stylistiques. Goûtons seulement l’ampleur mythique que Lowry donne à son texte. Il y parvient d’ailleurs par un effacement qui ouvre des perspectives. Les deux textes sont hantés par la présence de Melville. Pas seulement comme l’exploration d’un motif d’exil. Un Anglais, pour ne point dire un Consul, perdu aux Amériques. Il rêve, comme à une baleine blanche, à un retour. Dans la seconde version, le thème maritime, ressac d’un bateau, d’un vaisseau où enfin se laisser emporter, ne limite pas cette présence à la déception d’un pélèrinage sur les traces de l’auteur de Moby Dick. « À coup sûr, c’est une bien curieuse façon de découvrir l’Amérique. » comme le dit son médecin surtout quand l’ivresse est transformée en cette sentence : « le retour au présexuel ranime la nécessité de la nutrition. » Peut-être, toujours dans une certaine distanciation, est-ce aussi de cela qu’il s’agit : toucher, et fuir, ce moment « où la mémoire devient abysse, une zone imaginaire d’avant la naissance. » Refuser, en sentant le vent quand on sort de cure, d’admettre que « voici la fin de mon voyage sur les mers » . Continuer à picoler dans une église.

Et sans bien comprendre comment cela arrivait, il sentit qu’il venait de toucher le noyau démentiel de son univers ; ici se découvrait la véritable signification de tant d’enflures verbales, de titres à grand tapage, produit d’arrogantes années. Mais ici, également, se trouvait peut-être la guérison, la sagesse, la perspicacité plus patiente encore. Et la bonté pensa-t-il en jetant un regard à ses deux amis.

Pochade peut-être de pochetron. La vérité a ses masques, ses détours d’expression. Tout ce qui contraint à, intermittence, relever comment le monde continue d’exister. Des slogans publicitaires dehors, le bruit d’un bateau (son nom dans la seconde version comme évocation du nom du groupe de jazz où jouait, avant le tremblement, le personnage) en partance vers l’Espagne dont la guerre civile hante les romans de Lowry. L’espoir fou, surtout, plein de rechute et d’addiction de secours, de la rédemption avant, l’instant d’après, en contempler la vanité. Et surtout toute cette capacité à dire, sans fard, « les interminables, secourables discours – hélas inexistants – qui épiloguent sur votre cas et proposent une solution, une échappée vers la lumière matinale et la délivrance, un avant-poste entre vous-mêmes et la mort » Les abysses du Soi…


Un immense merci aux éditions Maurice Nadeau pour ce livre indispensable

Lunar caustic suivi du Caustique lunaire (trad Claire Francillon, 222 pages, 9 euros 90)

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