Hôtel Castellana Ruta Sepetys

Des amours contrariées aux dernières années du règne fasciste de Franco, la vie dans un grand hôtel quand le pays, par intérêt commercial, s’ouvre. Fresque populaire (avec donc les facilités de la grande efficacité) où s’entend la difficulté de la vie dans l’après-guerre où l’épuration perdure pour les enfants des Républicains. Dans la peau d’un hériter texan, naïf et curieux, Ruta Sepetys dit l’horrible répression de la vie sous la dictature. Tout de romanesque, pour ne pas dire de romance, Hôtel Castellana est un roman d’une efficacité entendue, une lecture distrayante.

Il m’arrive, vous l’aurez compris, de vouloir lire des romans que l’on pourrait qualifier, faute de mieux, de grand public (l’autrice elle-même confie que ses romans peuvent être lus par des jeunes adultes aussi bien que par des adultes). Roman de plage vu la saison. Pourquoi ça marche, pourquoi on lit six cents pages sans trop se poser de questions, pourquoi faudrait-il dauber ce qui est conçu pour cela, le pur plaisir du lecteur ? Sans doute tout d’abord par une manière de ne jamais perdre le lecteur dans de la couleur locale qui passe ici par de rares expressions en espagnole, l’évocation d’un contexte culturelle que tout le monde peut facilement identifier : l’univers de la corrida, Madrid en 1957, la découverte du photo-journalisme à l’ombre de Capra. L’autrice, adepte des romans historiques qui, à des degrés divers, mettent en scène des épisodes familiaux, a recours a plusieurs trucs pour s’excuser de s’emparer d’une Histoire dont elle ne sait rien. Cela passe d’abord par le décor : rien de plus méchamment, indifféremment, mondialisé qu’un palace Hilton comme l’est l’hôtel du titre. La lutte des classes à ciel ouvert sous les dorures et les labyrinthiques souterrains. La pauvreté qui frappe quand elle est confrontée au luxe insolent états-uniens. Ruta Septys introduit l’histoire espagnole en décentrant son regard, elle nous le fait comprendre sous l’œil de Daniel, un apprenti photographe. L’aspect photographique sans doute aurait pu être plus creusé, donner lieu à une évocation sensible de sa composition. On s’en servira quand même pour l’exploration d’un Madrid hors des circuits touristiques. Le roman offre alors une description solidaire du quartier populaire, jamais bien loin du bidonville, de Vallecas. Bien sûr, on ne peut ignorer la romance énorme qui se nouera, par son caractère impossible même, entre Daniel et Ana, femme de chambre à l’hôtel Castellana. Un peu gros, sans doute. Ça passe pourtant par le poids de la matérialité : Daniel trimballe un appareil photo qui coûte plusieurs années de salaire, prends des photos dont le seul développement nourrirait une famille des semaines, offre des cadeaux aussitôt revendus. Une sorte de candeur, l’amour. Et les déterminismes auxquels on échappe peu. Il faut bien admettre qu’on marche moins avec Daniel : le pauvre doit se débarrasser de son destin d’héritier d’une fortune pétrolière.

On comprend pourtant ce qui est sans doute une nécessité historique. Paco Cerda dans Le pion en parle avec une grande justesse. L’ouverture consentie par Franco est avant tout économique, la diplomatie états-unienne est avant tout pétrolière. Une autre astuce narrative très efficace d’Hôtel Castellana est d’entrecouper ses courts chapitres, chacun avec le point de vue d’un personnage pour rythmer le récit, par de courts inserts diplomatiques. Des archives comme autant de survenues de la réalité. Ruta Sepetyssait que la substance même du roman, de la manière dont mémoire et histoire s’entremêlent, est le silence. Partout, la dictature l’impose. On se tait, se cache. On tente de survivre. Les parents d’Ana ont été exécutés pour n’avoir pas voulu suivre l’enseignement catholique idiot imposé par Franco. Courtes notations pas mal venues sur le sort des protestants et des juifs dans cette dictature où la morale recouvre tout. Il faut bien admettre avoir été frappé, peut-être à tort, par une impression de déjà-lu. On le sait, à défaut de sa société civile, la littérature espagnole a énormément travaillé sur sa guerre civile. Ainsi, Victor del Arbol parle avec une grande justesse du monument censé marqué, au prix du travail forcé des prisonniers républicains, la réconciliation nationale. Malgré l’émotion, le rien de naïveté aussi (lisons plutôt Des chrysanthèmes jaunes sur le sujet) sur le traitement infligé aux enfants dérobés par l’église catholique. Nous ne dirons d’ailleurs rien du dénouement qui, dans son ultime péripétie, touche sinon à l’invraisemblable du moins crée un lien trop fort, à mon sens, entre les personnages.


Merci à Folio Gallimard pour l’envoi de ce livre.

Hôtel Castellana (trad : Faustina Fiore, 635 pages, 9 euros 40)

3 commentaires sur « Hôtel Castellana Ruta Sepetys »

  1. J’avais lu un roman jeunesse de Ruta Sepetys un jour, j’avais beaucoup aimé, alors son nom ne me ferait pas reculer, au contraire ! (même si je ne voyais pas du tout que sa cible de lecteurices pouvait aussi être celle-là)

    J’aime

Laisser un commentaire