Lisière fantôme Jérôme Lafargue

Accueillir l’étrange et l’étranger, écouter fantôme et prémonitions, se fondre dans la magie de son biotope, dans celle aussi de l’amour et de l’amitié, retracer la voix, et les conflits, de ses ancêtres. Jérôme Lafargue retrouve ses souriants confins d’une stricte rationalité, ses récits sous forme de faux polars, le lien inquiet et joyeux avec l’environnement, le monde et les gens alentour. Lisière fantôme entraîne le lecteur à la poursuite du fantôme d’une poétesse après l’intuitive découverte d’un de ses manuscrits miraculeusement préservé, la découverte surtout des origines de la violence, de la sensibilité particulière du héros — et de son chat — qui affronte un monde dont il restaure, fragile, la possibilité de joie.

On peut se demander si un roman est réussi s’il parvient à instaurer un climat, une atmosphère. Cela, sans que l’on ne parvienne véritablement à dire comment, Jérôme Lafargue parvient à le faire. D’un point de vue stylistique, il me semble que ce soit par une capacité à mimer cette feinte désinvolture, cette sautillante légèreté dans la narration ; manière de ne pas trop se prendre au sérieux, mais de croire en son histoire. Sans doute faut-il aussi le préciser, déclarer qu’un auteur est doté d’un don pour nous plonger dans une atmosphère revient peut-être à pointer seulement ce que, nous, nous en reconnaissons. On sent dans Lisière fantôme, je crois l’avoir déjà dit, tant pis, pour Le temps est à l’orage, une continuation de cette ambiance du polar des années 90-2000. Décontraction et message politique. Une écriture, ici, qui se fait oublier, une tension dans le récit qui semble tenir dans ses à-côtés. Une capacité à se concentrer sur le fait qu’en apparence rien ne se passe. Augustin a ses routines, sa vie bien rangée. Peu ou prou archiviste free-lance, il fait des synthèses, documente l’horreur pour des doctorants qui en sont submergés. Écrivain fantôme pourrait-on aussi dire. Soudain, quelque chose change. Un pull se range de lui-même. Un parfum, la jeunesse, la possibilité de croire ; l’enthousiasme.

Au fond, la vie ne suffit pas. Le roman est porteur de cette certitude. Nous avons besoin d’autre chose ; nous voulons croire au signe. Lisière fantôme parvient à ce seuil de la rationalité, à l’emportement dans les prémonitions. Augustin découvre un manuscrit, l’auteur joue des faux-semblants du roman historique. On invente une vie, on comble des silences, on y substitue des passages obligés, on calque des dominations meurtrières, on finit par y refléter l’irrésolu de notre propre passé. Ça marche diablement bien. Légèreté vous dit-on. La vie est là, le miracle parfois du quotidien. Un peu trop mécaniquement, on pourrait laisser penser qu’il s’agit d’une manière de montrer cette violence latente qui envenime tous les rapports sociaux. Miroir quoi qu’il en soit des peurs de notre époque, de leur repli. Le roman préserve la possibilité de vivre autrement, dans cette marge qui fait la vraie cohésion. Jérôme Lafargue aime les devins, les dingues et les paumés selon la formule consacrée. Nous aussi, ça tombe bien. Nous ne dirons, bien sûr, rien de la façon dont, dans le passé déjà, la violence et la magie évoluaient de concert en lisière du monde, en dessinait donc les frontières, la réalité serait-on tenté de dire. Nous voilà dans un romanesque fort plaisant. À nouveau, comme dans Le temps est à l’orage dans une autre écologie. Une question d’écoute et d’accueil. Un vieux truc du polar que sa capacité à faire témoigner des réalités sociales, politiques, qui peu se côtoient, vivent ensemble sans pourtant, hors la littérature, trouver une langue commune. N’en disons pas plus, laissons au lecteur le plaisir de découvrir ce roman sympathique qui restaure la possibilité de la joie, si indispensable en ces temps…


Merci à Quidam éditeur pour l’envoi de ce roman.

Lisière fantôme (200 pages, 20 euros)

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