Le petit roi Mathieu Belezi

La violence et l’enfance, la survenue, en ritournelle, de ses incompréhensions, désirs et déchaînements, douleurs surtout. Dans une langue ciselée, dans un savant découpage des réminiscences des déchirures parentales qui ont conduit le jeune Mathieu à être confié à la garde de son grand-père, Mathieu Belezi se tient au plus près, entre rudesse et tendresse, de cette histoire au sombre éclat. Le petit roi parvient à mettre en mots l’ordinaire souffrance, son absence d’issu.

Parfois parler d’un livre n’est pas facile, on pressent une obscure réticence que l’on ne parvient pas à formuler. Réticence ou réserve ne serait pas le terme entièrement approprié. Un peu d’ailleurs comme Attaquer la terre et le soleil, nous sommes confrontés à un livre d’une excellente facture, bien écrit et composé, mais qui laisse un léger, indiscernable, goût d’inachevé. Prenons garde, on ne peut pas alleer jusqu’à un de ces livres trop parfaitement écrit que l’on referme en se demandant ce que l’auteur, derrière la sophistication et la perfection formelle, a voulu dire. Tout ça pour ça, un vain surplus de lecture, une audition et une attention qui s’émoussent. Un doute pourtant n’est jamais mal venu, il incarne toujours une manière de préciser notre méthode. Ses détours infinis surtout. Une pensée, par exemple, pour la critique dithyrambique de John Cowper Powys, une sorte d’adhésion déraisonnable, temporaire, à ceux dont on parle et dont on voudrait tirer le meilleur, peut-être la possibilité de la joie. On sent en permanence chez Mathieu Belezi une sorte d’apprêté, une rudesse dans sa constante mise en scène de la violence. Peut-être est-ce ceci, l’ombre d’un doute sur sa posture d’auteur qui tient à une des questions indépassable de la littérature : on en fait quoi de cette violence une fois dite ?

Et ce sang, la couleur crue, sombre et menaçante qu’il impose, me venge de la désinvolture du monde à mon égard.

Ne soyons pourtant pas tranchant, laissons subsister un doute. Une interprétation irréductible, sans doute n’avons-nous rien d’autres à opposer aux subsistances des traumatismes que parvient à raconter Le petit roi. « Finissons-en » affirme le roman au début, pour se terminer sur une question sur les modalités de cette fin. La littérature ou la description d’un enfermement, nos incapacités à envisager des portes de sorties. Malgré cette insituable réticence initiale, il faut évoquer l’immense tension romanesque de ce texte très bref, plein de silences pourtant, de trous. La précision de la prose, odeurs et désirs, peurs et rages ; tout s’entremêle. Une indéniable beauté aussi, la respiration des saisons. L’humble travail de la terre, comme dans Attaquer le soleil et la terre, comment on continue, malgré tout. La simple chaleur de l’humain, des bols de chocolats chauds quand on est un peu trop grand. Peut-être est-ce d’ailleurs là le plus déchirant de ce roman. Admirable portrait du grand-père, de son impuissante tendresse. Une grande demande d’attention, une terrible incertitude affective. Elles s’expriment dans la cruauté. Sans jamais les juger, juste la raconter, Mathieu Belezi dit les conséquences d’une violence parentale initiale qui revient par bribes. Elle structure le récit, n’intervient jamais comme explication définitive. À défaut d’être aimé, à cause d’un abandon maternel, on fait mal. Assez étonnant à quel point la cruauté animale est devenue une sorte de cliché, pour ne pas dire un passage obligé de toutes les enfances sacrifiées. Et pourtant… Le petit roi joue ensuite avec l’identification difficile avec son personnage. Les victimes si facilement se transforment en bourreaux, semblent condamner à répéter ce qu’ils ont vécu. Les scènes de harcèlement, profiter de la faiblesse, puis de viol, de Parrot sont insoutenable. « N’est coupable que celui qui veut l’être. » On entend l’attitude bravache, le refus d’être plaint, le surplus de culpabilité, le désir d’en finir. Implacable mécanisme si finement exposé par Mathieu Belezi. On est, une fois encore, frappé par la brièveté du roman, sa très grande tension, son absence de commentaire. Nous ne pouvons rien en penser, écouter seulement.


Merci au Tripode pour l’envoi de ce roman.

Le petit roi (114 pages, 15 euros)

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