Les cavités Laure Samama

Des refuges où résonnent les cris, colères et peurs, désirs et failles — Temple dont l’enfermement est aussi espoir de sortie. Délicat, ardent, recueil de poèmes où s’entend la communication des souffrances féminines, où, sous l’allure d’un conte ses sororités s’interrogent les similaires souffrances par ce récit, leurs coïncidences et retours. Au creux de l’émotion, toujours à l’écoute de ce qui ne saurait la concerner qu’elle, Laure Samama écoute désir et absence, amour et haine, tous ces liens qui construisent, et cachent, une femme. Les cavités ou l’exploration, patiente, sonore et rythmique, des creux que nous sommes, les aspérités et autres traversées de nos inconsolables tristesses, des discours plaqués par lesquels, paraît-il, on essaie de nous en guérir.

On parle à nouveau de poésie, on voudrait faire entendre la déférence qui permettrait d’oser écrire. Ne rien expliquer, approfondir peut-être. Prendre garde à ne pas s’approprier, à la dévaluer, cette souffrance dont nous ne savons rien et que Laure Samama dit avec une frontale pudeur. En connaissance de cause sans que nous puissions parler d’un recueil autobiographique au sens strict. C’est sans doute un des premiers attraits des Cavités, cette parole transpersonnelle qui doucement, après la structure du conte, les douloureuses itérations des figures familiales, se confond avec les marques de premières personnes, paraît témoigner d’une expérience personnelle précisément dans ce qu’elle a de collectif, de possiblement similaire comme le sera toujours le désir, les manipulations dites amoureuses, ce qu’il faut sans doute entendre comme des épisodes dépressifs, des passages à vide si nous ne voulons pas inutilement médicaliser notre discours. Précautions, on l’a dit. Tentons un rapprochement, comme si cela permettait de moins, de mieux, se tromper dans notre interprétation : à la lecture des Cavités, on a souvent pensé à Rouge Pute de Perinne Le Querrec dans lequel l’autrice faisait une relation poétique, pas seulement versifié, mais réel travail d’esthétique, de son expérience dans les refuges pour femmes battues, à l’écoute de ses vies brisées par l’ordinaire misogynie. « J’ai cru que je saurais/j’ai cru que je pourrais me séparer des cavités ». Il me semble que Laure Samama parle aussi de cela, pas seulement parce qu’elle laisse résonner un discours contemporain qui, on doit s’en réjouir, laisse en apparence la possibilité d’enfin entendre les mécanismes et reproductions, les violences pas seulement symboliques d’une domination masculine loin d’être dépassée. Avec cette condensation que permet la versification, cette concentration de sens que serait la poésie, toujours derrière la possibilité d’un récit personnel, Les cavités, dans une première partie non clairement délimitée, en montre les structures. Sans que cela n’éclaire vraiment le contenu pour le lecteur, juste pour souligner à quel point mes rapprochements sont évitement, nous avons alors pensé à Bambine d’Alice Ceresaoù l’autrice illustrait l’immuable d’une construction féminine. Les interdits du Père, les participations de la Mère, les différentes façons dont les Soeurs ploient ou résistent, s’enfuient ou restent. Ceci étant, un peu trop résumé, la structure et non la substance, l’essence comme on voudra, des Cavités comme dire que chaque poème, sa fragmentation en instantanée, est une grotte évoque fort mal les présences qui la remplissent, ce creux au sein de Soi, cette internité pour employer un terme déplier par Michel Leiris, devient sous le style de l’autrice l’incarnation de nous peurs les plus enfouies.

Les cavités sont sombres mais peuvent être tendres. Je les connais, je sais où me cacher, je sais ce qui m’y attend, le risque est constant mais sans surprise. Les cavités sont ma maison et sont mon corps aussi.

De ces Cavités, nous retenons alors l’enfermement que produit la proverbiale, si on paraphrase Michaux, connaissance par les gouffres. Posons naïvement la question : serait-ce un truc de mec, cette fascination pour les désespoirs, les replis aux tréfonds d’une inintelligible intériorité ? La charge mentale qui pèse sur les femmes repousse le temps de s’en préoccuper comme le suggère un joli poème(« J’avais toujours des choses à régler avant/et cet avant à avaler mon présent ») Allez savoir. « C’est chaos chaos. La vie pulse. » Le désir revient, la poésie si bien en cerne l’absence, réticence à s’y abandonner, regret aussi de sa destructrice urgence. « Il me rejoint dans le ventre blanc du désir. Ses mots de rien tombent en désordre et m’ensemencent, ses mains fouillent mes habits./Je le repousse/J’ai peur. » La troisième partie de ce recueil ardent sera traversée de la solitude, la mise en accusation de celle qui souffre, le soupçon qu’elle s’y laisse aller : guérir, être productive, résiliente, toujours sur le marché de la séduction ou de l’emploi. Contradictoires impératifs catégoriques d’une société qui pousse à nous exprimer, mais ne sait ni ne veut nous entendre. En italique surgit alors le discours des hommes, sa façon de s’imposer. Les cavités que forme ce recueil (on aime beaucoup les moires noires de sa couverture) ce sont aussi les endroits, les moments d’enfermements en Soi, ce Temple que l’on se construit, où l’on accueille toutes ces souffrances qui nous feront entendre la nôtre. Laure Samama n’en fait, je crois, aucunement une solution, une exemplarité de sa douleur. L’autrice souligne alors l’étrange nostalgie, l’acuité envolée, de cette douleur, de cette écoute des cavités. On aime l’idée que ce Temple, peut-être en dernière extrémité de soin ne soit, in fine, jamais abandonné, un fragile armistice est signé. Nous espérons avoir donné à entendre, plus qu’à comprendre, toute l’intensité des Cavités.


Un grand merci à l’autrice et aux éditions Isabelle Sauvage pour l’envoi de ce livre.

Les cavités (131 pages, 17 euros)

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