Du miel pour les ours Anthony Burgess

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Une forme d’extravagance, une folie maîtrisée de se cantonner dans un univers bourgeois au seuil du naufrage. Burgess, dans ce roman, donne un visage à l’identité anglaise au moment où celle-ci perd de sa rigide assurance. Une certaine désinvolture se dégage de ce roman. Toujours, attention, avec la tenue de ce gentleman anglais que s’efforce malgré tout d’être le héros de cette rocambolesque excursion dans ce pays en miroir qu’est la Russie soviétique de Kroutchev.

De la lecture émane une impression un peu datée, un décalage délicieux. Sans doute par cette cohérence dans la vision du monde qu’exprime une écriture singulière. Là encore, au hasard de mes lectures, la sensibilité unique d’un romancier passe par l’appropriation victorieuse d’une langue étrangère. Dans Orange mécanique, Burgess s’appropriera davantage la langue russe, son patois et ses possibilités d’un langage de la violence. Dans un climat assez proche, celui de l’errance diplomatique d’anglais égaré dans leur royaume désunis, Shirley Hazzard interroge également la langue dans laquelle les prétendus vainqueurs devront désormais s’envisager.

Du miel pour les ours se présente volontairement comme une œuvre mineure. Burgess adopte cette légèreté qui, l’air de rien, permet un véritable accès à la gravité. Nous retrouvons impression d’une prose datée dans la façon dont est abordée l’homosexualité.

La pertinence de la construction romanesque n’en est en rien amoindrie. De cette lecture sans actualité me revient la mise à la question d’un sujet, d’un thème identifié et vendeur surtout, dont un auteur devrait s’imposer de traiter. Loin de toute vérification sociologique, de toute vraisemblance mais sans doute pas de rapprochement biographique, Burgess prend l’homosexualité comme une possibilité de basculement de l’identité. Le héros, Paul, est soudain contraint de s’interroger sur l’attraction exercée sur sa femme par la veuve de son meilleur ami. Un camarade bien sûr avec lequel il a connu une amitié particulière. Une vision sans doute réductrice si elle n’était rien d’autre qu’un dispositif narratif.

Paul reprend donc l’importation illégale de robe dans une Russie dont Burgess livre un portrait exact. Sans le moindre parti pris. Au cœur du récit, dans une des soirées de beuveries qui sont un passage obligé de tout roman russe, après avoir subi un interrogatoire policier (autre passage obligé dont Burgess se moque), Paul est contraint par ses co-détenus à inventer un récit. Celui de deux pays qui existent en miroir.

Sans doute est-ce là la clé de l’image. Le roman se conclut en effet sur une interrogation très fine sur la liberté dont aucun des pays (la Russie ou l’Angleterre) ne peut vraiment se prémunir. Ou seulement au regard de l’autre. Pour s’enfuir, Paul est contraint de convoyé un dissident, le fils prétendu d’un compositeur déporté par le régime soviétique. Bien sûr, ce dissident se travestira, prendra la place de sa femme. Bien sûr, la police qui le poursuit sous forme d’un duo aussi comique qu’inquiétant assure qu’il est le dupe de ce personnage androgyne, ce docteur présent dès la traversée maritime initiale. Le dissident serait un criminel, la répression soviétique ne serait qu’une illusion.

Pour le moins, ce point de vue pose question. Burgess n’est pas adepte de la bonne conscience politique. Aucun anti-communisme primaire. Rien qu’une farce. Mais elle offre une façon de nous déstabiliser par son regard en miroir : la dictature sert alors d’épouvantail à celle molle et sans éclat que nous subissons. Burgess se révèle un écrivain majeur dans sa capacité à imposer une atmosphère, de laisser son récit conclure pour lui les idées qu’il ne se sent pas contraint d’y placer.

Un commentaire sur « Du miel pour les ours Anthony Burgess »

  1. Encore un auteur dans la longue liste de ceux que je devrais lire…

    Et encore un article bien écrit et qui détaille le livre juste assez pour donner envie de le découvrir sans non plus trop en étaler. (c’est toujours le piège)

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