Breaking news Frank Schätzing

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Frank Schätzing retrace dans Breaking news l’histoire d’Israël et une partie des conflits dans le moyen-orient. Un roman dense mais un peu long qui offre un bel aperçu d’une histoire méconnue, horrible. Avec une certaine finesse ce roman questionne surtout la possibilité de témoigner.

Un livre qui m’a d’abord semblé un peu trop long avec ses 949 pages dans sa version numérique. La taille d’un roman n’est certes pas un critère de jugement fiable. Néanmoins ici la scission du récit en deux points de vue successifs qui finissent, bien sûr, par s’entremêler apporte non tant une sensation de redites rédhibitoires ou de fastidieuse longueur. J’avoue avoir surtout été quelque peu gêné par l’aspect didactique de la magistrale leçon d’histoire d’Israël que donne ici Schätzing. Visiblement, les éditions Piranha aime ce type de texte puisque cette volonté de se décentrer pour raconter l’histoire se retrouve dans La huitième vie.

Des années vingts jusqu’à 2015, l’auteur retrace avec une profusion de détails sans doute parfaitement renseignés mais donnant parfois l’impression de se perdre, l’histoire et l’identité d’un pays problématique. On comprend parfaitement le souci de Schätzing de ne pas vouloir se montrer partial et d’intégrer alors des personnages à cette Histoire dont il ne méconnaît pas l’absurdité, la violence, la dérive religieuse. Le souci, selon moi, est qu’il s’éloigne presque systématiquement de sa narration pour s’élancer dans des considérations, souvent passionnantes, plutôt déplacées dans un roman. Heureusement, il rappelle souvent l’incapacité à témoigner d’un conflit vu du dehors. Certes avec moins d’humour qu’Eureka street.

Clarifions un peu le propos. Une partie de Breaking news raconte le destin de trois enfants : Jehuda, Benjamin, et Arik. Benjamin deviendra un rabin ultra-orthodoxe mais « retourné » par le Sin Beth, les services secrets intérieurs dont il sera beaucoup question, Jehuda incarnera le sceptique libérale, le colon de gauche de Gaza et qui sera expulsé de partout, Arik lui deviendra celui que l’Histoire retiendra comme Ariel Sharon.

Schätzing nous préviens dès sa préface, il fait d’Ariel Sharon un personnage romanesque. J’avoue n’avoir pas les connaissances suffisantes pour juger de la manière dont il s’écarte de son sinistre modèle. Je sais par contre que ce personnage sert de paravent à de longs débats sur l’identité israélienne, sur la légitimité divine dont elle aime à jouer. Je n’aime pas les personnages prétextes, pantins souvent de roman à thèse.

Breaking news n’est heureusement en aucun moment un pamphlet. Parfois, dans des bribes touchantes, il se rappelle à son devoir romanesque et oublie d’éblouir le lecteur par ses connaissances qu’il est d’ailleurs heureux de rafraîchir. Une partie du trio sus-mentionné me paraît mal fonctionné. Il prend pourtant toute son importance quand il parvient à nous donner à voir l’étincelle de beauté dans ce dur désir de durer, cet acharnement de la survie dans les situations les plus atroces.

Ainsi, le fils de Jehuda se retrouve soldat au moment des massacres de Sabra et Chatila. Avouons que Schätzing en rend admirablement le contexte historique qui m’échappait en grande partie. Je ne suis pas certain qu’un roman doive faire œuvre de mémoire ou de vulgarisation. À mon sens, il atteint à son paroxysme quand il interroge nos manières de survivre à l’horreur. Uri, le fils, ne se remet pas d’avoir assisté, planqué dans son char, à ce massacre que les autorités israëliennes laissent commettre. Arik devient alors l’ennemi de la famille. L’auteur se sert de cette excuse pour évoquer très longuement la progression sinueuse de la carrière de Sharon. Là encore, le rappel est loin d’être inutile.

Là intervient la question de la longueur de ce roman. Schätzing y entrecale un deuxième récit mené avec tout autant de brio dans son rappel d’une histoire proche dont la mémoire et la compréhension me paraissent déjà occulté. Le livre raconte les aventures, rocambolesques et racontées avec une belle tension dramatique, de Tom Hagen. Un journaliste drogué à l’adrénaline, fuyant son existence et, depuis un enlèvement en Afghanistan (évoquée d’une manière qui rappelle À la lumière de ce que nous savons) erre en bordure de ces conflits dont il ne se croit plus capable de rendre compte. Le roman interroge alors avec une vraie pertinence le travail du journaliste, sa capacité à témoigner de l’horreur. La grandeur de ce livre tient, pour moi, à la manière dont Schätzing interroge l’équivalente absurdité entre la reconstruction romanesque et celle journalistique.

Le livre se transforme alors en un roman d’espionnage. Un genre que je n’avais juste alors jamais pratiqué. Schätzing maîtrise bien le suspens. Inutile de révéler ici la manière dont les protagonistes de la première histoire vont croiser celle de Hagen. Un mot en guise de conclusion, j’aime les réflexions qu’elle lui permette sur Yaël, la petite fille de Jehuda. Une génération qui interroge son intégration historique, loin des temps héroïques, n’ayant pas vécu directement ceux de la violence, elle se trouve coincé dans une situation à la fois injuste mais compréhensible.

Schätzing reconduit alors sa question sur l’identité d’Israël. La révélation du comportement de Yaël Kahn avec l’ami de la famille se dote alors d’une certaine logique malgré le suspens artificiel de ce dénouement. Une sorte de passage obligé qui résume la situation en Israël : peut-on tuer autrui, pris pour un monstre, quand au moment de l’exécuter il révèle toute son humanité, il évoque avec tendresse cette histoire familiale qui sert de trame au roman. Alors bien sûr, comme pour Hagen, ce qui semble d’abord une bonne action a des conséquences tragiques.


Livre reçu en partenariat avec NetGalley

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