Le mardi de la forêt Andreas Maier

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Avec une vertigineuse maîtrise narrative, Le mardi de la forêt plonge dans l’inconscient d’un village, ses rumeurs, sa vénalité et surtout son incapacité à accepter la moindre différence. Ce premier roman de AndreasMaier est un caricature grinçante, d’une sourde violence. Il nous révèle pourtant, dans une prose dense, le portrait d’hommes égarés dans leur ratiocinations.

En continuité avec mon exploration de livres anciens, assez peu connus (après l’ébourriffé Roman péterbourgeois en six canaux et rivières et l’énigmatique Sourire du lézard),  je vous propose de découvrir l’envoûtement acide d’Andreas Maier. Si, d’ailleurs, vous disposez d’informations : l’auteur a-t-il écrit d’autres romans, jouit-il d’une meilleure reconnaissance outre-Rhin… ?

Mes notes de lectures, insidieusement, se dotent d’automatisme. Aborder d’emblée les réticences suscitées par un livre devient une habitude pesante. Surtout, sans doute, pour un livre méconnu dont il faudrait faire une élégie sans partage. Automatisme douteux, me semble-t-il, car mes réserves sont le plus souvent le mardi de la forêtde principes. Une manière d’affirmer un facile esprit de contradiction. Voire un désir d’affirmer une supériorité précisément au centre du Mardi de la forêt. La prétérition n’en est pas moins inutile.

La maîtrise narrative de ce premier roman, sa façon d’entremêler les voix des différents protagonistes de ce drame sans substance peut, parfois, paraître manquer de singularité. La froideur obsédante de la langue, son absence de respiration (le roman est divisé en trois chapitres tous d’un seul paragraphe), en dépit de l’absence de répétition fait immanquablement penser à Thomas Bernhard. Mais ne serait-ce pas un automatisme facile ? La froideur du regard, la détestation congénitale, m’a également fait penser à Elfried Jelinek. Le mardi de la forêt est un romale mardi de la forêtn indéniablement cruelle. Il n’atteint pourtant pas aux irrespirables sommets de la grande romancière autrichienne. Pour ancrer cette note de lecture dans mon univers de référence, il faudrait aussi parler d’une certaine ressemblance avec Shalev. Une même manière de plonger le lecteur dans le monologue de ses personnages enfermés dans une réalité pliée sur leur conception confuse, répétitive. Mais, d’où d’ailleurs une impression de terrible froideur voire d’une trop grande ressemblance des personnages, Maier dévisage ses protagonistes à la troisième personne du singulier. Il parvient ainsi à rendre compte de l’avis changeant et mauvais de la populace de la région de Wettereau.

Schématiquement, le récit se structure autour des déambulations de deux personnages, Schossau et Wiesner, et décrit les conséquences de la mort d’un personnage énigmatique, Adomeit. Comme tous les grands romans, Le mardi de la forêt ne se limite heureusement en aucun cas à cette intrigue minimale. Bien sûr, les variations autour de la personnalité d’Adomeit sont assez captivantes, surtout d’être sans solution. Andreas Maier ne se contente pas de mettre en scène le mystère que nous demeure autrui ou même la vindicte populaire à laquelle s’expose ce solitaire possiblement hautain. Le roman questionne alors finement l’égoïsme de l’affirmation de soi. Avec un comique pertinent, Adomeit refuse l’assurance du confort moderne, l’asservissement de ses perpétuels agencements sont ici dépeint avec amusement. Le plus grand crime commis par ce philosophe contemplatif aurait de n’avoir souscrit aucune assurance santé et s’être constamment soustrait aux sollicitions sociales.  Le lecteur ne saurait, à mon avis, que s’y reconnaître.

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Néanmoins, le plus réussi dans ce roman me paraît les instants d’illuminations. Ceux échappant à l’accrimonie et aux représentations excessivle mardi de la forêtes et grimaçante d’une rancune villageoise joliment intemporelle et irréelle. L’illustration de couverture de James Ensor. Adomeit n’est jamais pourtant représenter comme une figure christique. Les instants d’éclats, d’épiphanies si le terme n’était pas si galvaudé demeurent sans rédemption. Ainsi Katja Mohr perçoit une illumination dont, comme tous les personnages du Mardi de la forêt, le sens et la substance lui échappe radicalement.

Les gens voulaient toujours le bonheur, ils fondaient des foyers, faisaient des enfants, il y avait évidemment un programme de bonheur et ce programme, elle ne l’avait jamais compris, ce que ses parents lui avaient toujours reproché. Le bonheur, il existe ici, dans cette rue, en ce moment même, sans aucune raison, et on ne peut le supporter, il s’abat sur vous.

Au fond l’interprétation la plus souriante de ce roman acide et captivant est qu’Adomeit est eut l’outrecuidance d’être heureux, sans raison, dans un détachement matériel contemplatif inexpugnable.« Peut-être quand on est heureux, au fond de soi tout se tait. » Les horribles braves gens ne sauraient en aucun cas lui pardonner. La charge contre la rumeur publique peut paraître excessive et manquer son objet. Et pourtant, après une nuit d’errance et d’ivresse, de transparence pour parler comme René Crevel, Wiesner reçoit lui aussi sa révélation, celle qui enferme tous les personnages du Mardi de la forêt :

Même si j’ai toujours cru être complètement différent de tous les autres. J’ai toujours été différent et toujours semblable, comme tout le monde. Tout le monde est différent et semblable.

Avec une jolie ironie, Le mardi de la forêt est aussi un roman philosophique. Avec une discrétion et une moquerie dont Tristan Garcia ne sait faire preuve. Ainsi, comme ne cesse de le répéter Schosau : Je pense que tout ce qui se passe ici, que tout ce dont il est question a été privé de substance. Mais néanmoins j’ignore ce que je veux dire par ce concept de substance. Il se peut qu’il ne s’agisse que d’un mot. » Tous les personnages de ce roman s’essayent à la réflexion, elle paraît sans issu, voire sans conséquence. Son meilleur exemple, pour cette prise en charge du passé dont est responsable la littérature (La leçon d’allemand en est une magistrale leçon), est cette ancienne soi-disant nazi, une tante acariâtre qui ne se berce pas d’illusion sur le pillage auquel elle assiste, et qui nous livre une profonde réflexion sur un rapport au passé sans réactionnaire nostalgie :

Tout le monde veut retrouver le bon vieux temps, ce qui ne les empêche pas de tout bousiller dans celui-ci. {…} Mais les temps nouveaux, qui les a faits sinon exactement les mêmes que ceux qui veulent revenir à l’ancien temps.

 

 

 

 

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