Janvier noir Alan Parks

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Glasgow, terre de polar. Dans une intrigue à la précision classique, à la sécheresse diabolique, Alan Parks en dévoile les antagonismes sociaux. Janvier noir avec une sombre empathie, sans s’attarder, explore les bas-fonds d’une vile et parvient nous en rendre la poisseuse et attirante atmosphère.

Deux réticences pour commencer à parler de ce polar dans ce polar dans lequel on se laisse totalement prendre. D’abord, une dramaturgie excessive de la série de meurtres sur lesquels se penchent Mc Coy et Wattie. Ce duo, classiquement opposé se révèle toujours fonctionnelle par l’économie narrative de Janvier noir. Alan Parks le décrit sans un mot de trop. Concentré qu’il est sur l’action de ses personnages, il parvient à conserver une belle opacité au lien entre l’ancien flic, aux méthodes douteuses et drogués, et le jeune, étranger à Glasgow et tôt happé dans sa logique. Tout fonctionne à merveille dans ce roman. On se demande alors pourquoi Alan Parks a voulu faire des événements racontés une mythologie tenace. Le roman s’ouvre sur un prologue : on parlera longtemps de ce sanglant janvier. Sans doute pour se confronter à l’un de ses modèles (nous en reparlerons), Parks ouvre son roman sur une violence prétendument inoubliable.

L’ambiance est posée dès les premières pages : des putes, de la dope et des perversions sexuelles. Mais, fort heureusement, Janvier noir sait éviter l’écueil d’un excès de noirceur. Aucune violence parodique, satanique pour en venir enfin à mon deuxième reproche. Cette piste et son fatras habituel (frustrations adolescentes, Alistair Crowmley et autre pentagrammes) sont esquissés sans être, heureusement une fois de plus, véritablement explorés. Deux ajouts d’autant plus visible que Janvier noir est taillé à l’os.

Le polar à son meilleur me paraît toujours ancré dans un jeu de référence. Tout a déjà été dit, ou presque, sur la résolution d’une enquête. Sans jamais s’éloigner de son intrigue, assez tenue quoique – par convention habilement déjouée – toujours un rien trop proche du passé de Mc Coy, Janvier noir s’empare de tous les codes et sait ne pas vouloir à tout prix s’en démarquer. Multiplier les influences pour réfuter l’imitation. La plongée dans un passé dont la violence, la liberté face aux procédures en regard de l’enfer bureaucratique de l’actuel métier de flic, semble une tendance un rien trop présente dans le roman noir. Par ce prologue sur ce « Janvier noir » dont tous les flics continueront à parler, Parks met sa plongée dans les années 70 sous le patronage de David Peace.  À mon sens il parvient à se démarquer des automatismes de langages, des répétitions obsessives, de cette folie marquant l’œuvre de Peace.

L’autre référence, il fallait une citation de Ian Rankin en quatrième de couverture pour la débusquer, est celle limpide à McIlvanney. On est parfois très proche de Laidlaw : la même façon de présenter Mc Coy sous les yeux d’un nouveau venu, le même attrait (un peu moins appuyé ici) pour la population locale, populaire dans son sens plein, drôle et pleine de belles réparties et le thème de l’homosexualité masculine que l’on ne s’attend pas à trouver ici. Janvier noir pourtant se dégage assez facilement de cette influence peut-être automatiquement décelée. Sa prose ne s’égare jamais sur les admirables digressions philosophiques de son modèle. Au fond, Alan Parks s’empare surtout des obligations du polar. Nous n’y lisons jamais que nos propres références. Ainsi, Mc Coy a une enfance difficile, des liens fraternels avec un truand qui rappelle le Cafferty de Ian Rankin. Qu’importe. Pour être éprouvée la structure marche parfaitement. On attend avec impatience la suite de ce qui est annoncé comme une série.

Pour aucunement gâcher l’immense plaisir de cette lecture, arrêtons-nous un instant sur une inscription historique dont l’aspect le plus intéressant reste les traces idéologiques. Sans aucun doute par un doute sur la posture même de l’auteur. Un certain voyeurisme à se pencher sur les classes populaires, à en glorifier leur misère vue de très loin.  La seule excuse semble la pertinence. Vue d’ici avec cet éloignement « exotique » qui m’empêche de lire trop de polars français, l’évocation de Parks paraît juste. Des marxistes qui causent du peuple dans des bars où aucun de ses membres pourraient se payer une pinte. Dans un décalage à la fois très contemporain et historiquement vérifié, Janvier noir offre, de la même façon, un regard dédoublé et distancié sur la prostitution. Mc Coy couche avec une pute camée, s’efforce de croire chaque cas unique et ne répondant donc pas à une exploitation globale. Il s’amourache d’une thésarde, une féministe saisie dans une ironie assez fine, dont la fascination pour les perversions n’est pas sans équivoque mais qui apporte un joli contre-point à l’attachement du roman noir pour les représentations les plus pittoresques de la domination. Sans s’attarder, Parks souligne que la prostitution est la forme la plus achevée du capitalisme. Sans doute.


Un immense merci aux éditions Rivages pour cet envoi.

Janvier noir (trad Olivier Deparis, 366 pages, 22 euros 50)

 

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