Étranges loyautés William McIlvanney

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Par le récit des errances, presque plus philosophiques que policières, McIlvanney dresse un portrait saisissant d’un homme en quête de vérité. Étranges loyautés, dans sa prose affûtée, atteint au sommet du roman noir par cette question d’une vertigineuse simplicité : quelle loyauté devons-nous à nos idéaux ? Un roman à lire absolument par la singularité de sa vision du monde.

Tout amateur de polar a entendu le nom mythique de McIlvanney comme celui d’un immense romancier. Sa réputation n’est en aucun cas surfaite. La découverte d’Étranges loyautés à surpasser mes attentes tant ce roman contient tout ce que j’attends d’un roman noir : une narration à la fois enlevée et intime, une conception du monde peu orthodoxe et pourtant empli d’une vérité simple et évidente et le tout exprimé dans une langue sans clichés mais avec humour. Équilibre miraculeux auquel parvient MCIlvanney sans se forcer sans doute en se concentrant sur les aspects éthiques soulevés par toute enquête policière. Dans Étranges loyautés elle a d’ailleurs une place plutôt anecdotique. Ce qui intéresse l’auteur, qui captive le lecteur, est plutôt ce type de questionnements en ouverture du roman :

Mon existence était un continent inconnu dont j’étais le seul explorateur. Et qu’avais-je découvert ? Eh bien ! Euh… que la vie est… Bon sang. Mais donnez-moi quelques années encore et j’aurai déniché la réponse. Mais combien d’années me restait-il ? Ces temps-ci, elles passaient tellement vite. Comme si on s’arrêtait un instant pour changer un fusible claqué avant de s’apercevoir en relevant la tête qu’une année supplémentaire venait de s’écouler.

Le roman noir sert à mon sens avant tout à véhiculer des doutes et le sentiment de se perdre soi-même, comme il l’était dans Dans les eaux troubles, est au cœur d’Étranges loyautés. Jack Laidlaw, le héros de ce récit, qui ne cherche aucunement de faciles effets de suspens, une escalade de la violence afin de s’ancrer dans un excès de noirceur où trop souvent se complaît le polar, part à la recherche de « l’origine de la défaite ». Dans une de ces formulations étincelantes de simplicités dont regorge ce roman, Laidlaw veut savoir à quel moment à commencer l’accident qui a coûté la vie de son frère. Avec une empathie profonde de n’être jamais feinte, McIlvanney décrit cette fraternité à la dérive. L’inspecteur remonte dans ses souvenirs et parvient à donner une image de ce frère plein de vie, de hargne et de défaite. Mais, McIlvanney sait rendre ce peintre déçu magnifique. Sans doute par son aptitude l’air de rien à saisir la vérité d’un être. Au risque d’employer une formule éculée : son humanité. Malgré son regard acerbe, le roman laisse deviner une tendresse sans affect pour la simple générosité des gens ordinaires décrit sans condescendance ni hagiographie. La description de la dernière soirée, de pub en pub (Les papiers de Tony Veitch, se termine de la même façon : le partage de l’ambivalence de l’idéalisme dans une oublieuse ivresse, en existe-t-il vraiment d’autres expressions ?) est d’une simplicité admirable : le regret de n’avoir pas su écouter assez, la pudeur de ne jamais s’exprimer clairement. Il faudrait alors aussi citer tous les aphorismes où l’évidence de nos mensonges et de nos dissimulations ne cesse d’affleurer.

Nous sommes tous experts dans l’art du masque, à saluer les uns les autres nos déguisements respectifs comme s’il s’agissait de vieux amis.

McIlvanney se révèle un grand romancier dès lors par la singularité de son regard sur le monde. Sans céder aux sirènes d’une sociologie facile, Laidlaw perçoit avec la cruauté de l’exactitude l’insupportable d’une société où le mémorial d’un homme se réduit « au prix que sa maison valait, plus ces quelques objets de rebut. » Sans insister à aucun moment, Étranges loyautés livre aussi un portrait lapidaire de l’Écosse par une apologie nuancée – pleine d’ironie du sort – sur l’homme de la rue. Ce portrait populaire devient d’ailleurs une apologie de Glasgow dans Les papiers de Tony Veitch. Pris dans ses amours sans issus (l’histoire de la boîte à pourboire est hilarante), Laidlaw ne peut renier son métier de flics, son attrait pour la violence et les ténèbres dont il a la lucidité de se savoir entouré.

Nous choisissons peut-être bien nos craintes et nos frayeurs, me disais-je. Nous nous effrayons de petits détails de manière à empêcher l’important de s’approcher suffisamment pour nous inquiéter.

Laidlaw, dans une résolution de plus en plus policière de la disparition de son frère s’interroge surtout sur la loyauté « à l’égard de la vérité et la loyauté envers les idéaux de notre jeunesse. » Étranges loyautés ne sombre pourtant jamais dans la nostalgie. McIlvanney est un moraliste. Il n’a aucune réponse facile à nous apporter, aucun dédain pour les façons dont chacun s’arrange de son existence et de sa culpabilité. Dans Laidlaw  déjà, le personnage le plus sympathique était le criminel. Il ne s’agit pas ici d’une creuse apologie de la fidélité à soi-même mais, avec la simplicité que permet le roman noir, d’une réflexion sur l’omniprésence du doute. « Nous devons douter, non seulement des autres, mais de nous-mêmes.» Avec un véritable talent, McIlvanney parvient à amalgamer à toutes ces réflexions une véritable intrigue policière dont la résolution laissera l’inspecteur face à ses démons, dans sa solitude. Une grande hâte de trouver les deux précédents volumes, Laidlaw et Les papiers de Tony Veitch des questionnements de Laidlaw.

 

 

 

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