Les enquêtes du commissaire Ricciardi ont un charme mélancolique tenace. Hanté par ses visions morbides, habités par ses incapacités amoureuses, Ricciardi se promène dans ce polar plein d’atmosphères, dans cette Naples fasciste admirablement décrite. De Giovanni livre alors une belle méditation sur l’amour.
Je vous ai parlé ici de ma découverte enthousiaste du commissaire Ricciardi. L’automne du commissaire Ricciardi laisse une très forte impression. À l’image de toutes les séries on pourrait craindre que ces particularités s’amoindrissent pour verser dans l’automatisme. Ici le charme opère encore. Peut-être même davantage avec la maîtrise d’une grande discrétion. Dans une prose délicieusement elliptique, pleine de digressions, De Giovanni n’insiste pas sur la Chose comme il appelle les visions du commissaire. Son héros continue à entendre les derniers mots des morts. Étant acquis, la seule vraie question devient la façon de s’acclimater à cette suprême vision. La tenace mélancolie de ce volume est de la montrer sans pitié ni solution.
C’est plus facile d’avoir affaire aux morts, se dit Ricciardi, leur pensée est obtuse et désormais inutile, mais évidente.
Les dernières paroles deviennent une rengaine. Une habitude à laquelle le protagoniste refuse de se plier. Elle lui apporte pourtant la conclusion fulgurante du meurtre d’une prostituée. L’intrigue en elle-même, comme dans tous les bons polars, n’a que peu d’importance aux yeux de son auteur. Elle semble presque mise de côté dans tous la seconde partie du roman. Pour retrouver les mêmes personnages et leur déchirure.
De Giovanni sait déjouer notre lassitude. À mon sens, plus que n’importe quel autre genre littéraire, le roman policier expose la fatalité humaine et nos croyances à pouvoir y échapper. Avec une certaine tristesse, avec une défiance sur laquelle De Giovanni n’insiste pas, les personnages s’imitent eux-mêmes et s’enferrent dans leurs errements. Cependant le fascisme s’installe et instille ses menaces. Avec un artifice narratif, le commissaire se retrouve plongé dans le dilemme de ses amours impuissants précisément pour lutter contre le fascisme.
Le polar, ultime bastion du roman social, m’a toujours paru, au détour de son intrigue, apte à rendre un quotidien ordinaire. Sans la moindre condescendance. Les personnages de De Giovanni ne prétendent à aucun héroïsme. Leur engagement politique est hasardeux. Néanmoins, le plus intéressant dans le cycle du commissaire Giovani reste sa mise en scène d’une décence ordinaire. Celle dont McIllvaney nous donne un exemple discret et rieur dans Étranges loyautés. À ce titre, le personnage du docteur Modo incarnerait cette forme de folie qui consisterait à être un homme bon. Un médecin au sens fort. Pour le sauver, les autres personnages délaissent leur indifférence. Notamment celle blessée que porte souvent la mélancolie. Empêtrée dans ses visions, les appréhensions du commissaire dessinent une ombre d’égoïsme. Qui d’entre nous peut prétendre y échapper ?
La lecture des Pâques du commissaire Ricciardi émet un charme tenace qu’il semble d’abord difficile de capturer. Je pense l’avoir déjà dit : tout bon roman paraît se suffire à lui-même et laisse entendre l’inutilité de le commenter. Tentons pourtant d’échapper à ce qui est, peut-être, une facilité. On s’installe dans cette lecture aussi par la tenue de sa simplicité, son aptitude à se resserrer sur un thème. En l’occurrence moins celui de la prostitution pour tracer un hasardeux parallèle avec Janvier noir parût presque simultanément chez Rivage, que celui de l’amour.
Parfois, le polar n’échappe pas tout à fait à la carte postale. Si cela me frappe particulièrement dans le domaine français, Les pâques du commissaire Ricciardi n’y échappe pas tout à fait. Gastronomie et autres traditions pascales oblige. Charme pourtant d’une distance temporelle exotique. Un meurtre dans un bordel pourrait enfermer dans un des codes les plus éculés du polar : son érotisme trouble. Par sa compassion, ce roman y échappe totalement. Sans doute parce que en de très courts chapitre, De Giovanni s’interroge sur l’amour, ses déceptions, vains espoirs, mensonges mais aussi rares miracles. Un lupanar, subtilement évoqué au passage sans jamais être décrit, est un lieu sans amour. Il y fleurit pourtant. Entre homme ou comme un amour retrouvé. Aux funestes conséquences pour calquer les obsessions du commissaire. Ses morts reviennent comme une rengaine, l’annonce du printemps réitère cette grande incapacité qui aurait pour nom amour. Une mélodie chargée d’empathie. Celle jouée par un faux aveugle, témoin décisif, avec un accordéon abîmé par une aggression fasciste.
Un grand merci aux éditions Rivages pour cet envoi
Les pâques du commissaire Ricciardi (trad Odile Rousseau, 330 pages, 22 euros)
A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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« charme (mélancolique) tenace » – voilà ce qu’il me faudra !
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