L’ombre d’un père Christoph Hein

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Roman picaresque rythmé, récit subtilement historique sur l’ombre de la culpabilité et la façon de s’en arranger, L’ombre d’un père où l’Histoire par les survivants de l’effondrement. Dans ce grand roman, qui se lit en une respiration, Christoph Hein dresse un portrait délicat, d’une ironie féroce, du poids de la mémoire et de son instrumentalisation poétique.

La force gravitationnelle de L’ombre d’un père, le plaisir jamais démenti à le lire, tiennent je crois à la particularité de ton qui s’y déploie. Même si les percées oniriques, à la première personne, à l’ouverture et à la fermeture du roman sont loin d’être dénuées de ce charme des visions, Christoph Hein parvient à adopter une voix picaresque pour raconter les rocambolesques aventures de Konstantin Boggosch. Disons une certaine distance à la réalité, une façon de lui rendre son invraisemblable romanesque, une vraie naïveté qui n’empêche pas une vraie pertinence dans un traitement historique devenue substance même de la vie des personnages. On pourrait penser au Courtier en tabac de John Barth, j’avoue avoir à l’occasion pensé au Dickens des Grandes Espérances. Konstantin sera promené à travers l’Histoire dont il n’aura que sa perception limitée, le roman parvient à nous rendre alors toute l’absurdité, l’absence de perspective, l’intime douleur que sont, paraît-il, les événements historiques.

On ne traverse pas ce monde sans se rendre coupable ni éprouver de la honte, mais cela il ne pouvait ni ne voulait l’expliquer à cette gamine, elle l’apprendrait bien assez tôt d’elle-même.

Jeu délicat sur la narration, après les visions de rêve, ce sera bêtement une lettre de l’administration fiscale qui ramènera Boggosch à son identité reniée. Les non dupes errent comme disait Lacan et comme le met très vocaliquement en scène Hôtel Rouge de Maria Efstiadi. Le père de ce héros, simple, candide et prosaïque comme un directeur de lycée, est un criminel nazi. La persécution se poursuivra sous le régime communiste. Débilité et arrangement bureaucratique. Christoph Hein, je pense, ne cherche pas tant à mettre en scène le poids d’une histoire que la manière dont certains savent s’en servir. Dans Le magicien Magdelena Parys illustrait le recyclage des anciens de la Stasi. L’ombre d’un père, plus modestement, à travers des gens ordinaires (inspecteur d’académie ou directeur de lycée) illustre la permanence de ceux qui savent toujours être du bon côté. Sans jamais être démonstratif, l’idée en touche d’autant. Naïf de croire qu’il n’en est pas de même pour aujourd’hui et demain.

Quand Konstantin se réfugie à Marseille, après l’épisode tragi-comique de son engagement manqué dans la Légion, il rencontre – alors que la guerre d’Algérie fourbit ses massacres – un groupe de libraires, d’anciens résistants. Dit ainsi, c’est un peu gros. Mais Hein parvient à jouer de cette invraisemblance par la distance prise par le narrateur avec sa propre histoire. Il a bien sûr pris la précaution de montrer son peu de fiabilité, son arrangement avec sa propre image. Ce groupe de libraire, donc, appelle les Dupont l’ensemble de ces profiteurs de guerres, résistants de la dernière heure, donneurs de leçon en tout genre. Toute sa vie Konstantin sera poursuivi par ce genre de personne. Ne pas cacher, comme son propre frère, sa sympathie pour les criminels de guerre semble d’ailleurs plus profitable que de tenter de vivre son histoire hors de cette coupable filiation.

Pour ne pas sombrer à son tour dans la dénonciation facile, L’ombre d’un père brille, insistons une dernière fois, par son rythme. Les épisodes se superposent dans un récit toujours captivant que ce soit quand Konstantin rentre à Berlin lors de la construction du Mur où lors de ses démêlés administratifs à son effondrement. Christoph Hein signe ici un roman, en aucun cas un précis d’histoire. N’en disons donc pas plus pour laisser la chance au lecteur la chance de s’abandonner à ce récit. Soulignons seulement cette aptitude à dire, au passage, la douleur et son deuil

La douleur ne s’atténuait pas, elle restait la même, elle ne se gonflait pas de vagues bouillonnantes, elle ne se retirait pas non plus, elle était une mer étale, sombre, indomptable, impossible à anéantir.



Un grand merci aux Éditions Métaillié (bon anniversaire !) pour cet envoi

L’ombre d’un père (trad : Nicole Bary 409 pages, 23 euros)

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