Mer Blanche Roy Jacobsen

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Esseulements insulaires, le deuil des amours et des présences, le poids des saisons et de l’intrusion d’un extérieur guerrier. Dans une langue à l’âpre simplicité, dans une prose où la cruauté apparaît dans  ce qu’elle se réserve de dire, Roy Jacobsen nous transporte à nouveau à Barrøy, une île norvégienne durant la seconde guerre mondiale. Mer Blanche capture, sans frime mais avec une vraie concertation, les douleurs et les exaltations de la vie telle qu’elle passe.

Après la tendue et cruelle réalité des Invisibles, Roy Jacobsen nous ramène à Barrøy dans une sorte de suite. On pourrait penser que son cycle romanesque prend à ce point parfaitement en charge une continuité quasi cosmique, dans une suite d’instantanées comme détachés par cette effrayante continuité que l’on confit à nous vie, qu’il n’est pas véritablement besoin d’avoir lu Les invisibles pour se plonger dans Mer blanche. Lecture pourtant hautement recommandable : on y accroche des sensations qui font date, des impressions qui nous déforme. Si cela ne semblait à ce point fat, j’expliciterais ma propre saisine (le terme inclut l’exclusion propre à la capture d’un milieu) du sentiment insulaire : seul avec les autres. « Vivre sur une île, c’est chercher. » Se tenir, toujours, au seuil de la « certitude écrasante qu’il existait une autre île. », « le début d’une nouvelle vie, la plus fragile de toutes. » Cet espérance provient, je pense, d’un dénuement, d’

une clarté simple et impitoyable, un malheur tangible, visible et palpable, et non pas seulement un essaim d’ombres étranges qui ne collaient pas entre elles.

Le charme pérenne de ce roman de Jacobsen tient à sa capacité à donner à voir un territoire dans sa temporalité propre. D’où basculement et dépaysement. Un peu de flottement parfois dans l’identification des personnages qui sont pour Ingrid, dont les obscurités sont le centre perceptif de ce roman, des présences de toute éternité, des visages connus dont les contours s’imposent sans plus de précision. De cette manière, avec un travail documentaire deviné si immense qu’il est devenu une façon de s’impliquer dans le sujet, Roy Jacobsen donne un visage, absurde et atroce, à la seconde guerre mondiale : une horloge déréglée que l’on ramène quand même pour mesurer l’intervalle entre deux obscurités, le répit entre deux drames que Mer Blanche nous laisse reconstruire. Son précédent roman traduit en français, Les bûcherons revenait aussi sur cette époque, sur la soudaine porosité des frontières. L’intériorité de l’île, son refuge, existe sans doute dès que son inviolabilité s’ouvre aux failles. Autre motif littéraire évident que Jacobsen se garde de commenter est celui de l’insularité comme épreuve du solipsisme. Dans l’isolement d’une île durant la guerre quelle sera la réalité des perceptions solitaires d’Ingrid. Mer Blanche s’élance probablement de ce faits divers avéré : en 1944, un navire allemand de transport de troupes et de prisonniers fait naufrage. Ingrid en recueillera un, le sauvera et l’aimera avant qu’il ne disparaisse. Dans une langue très simple, belle de son humilité, Roy Jacobsen nous dit la perte de la perception, l’incertitude du sentiment amoureux quand il n’en reste que quelques lignes intraduisibles.

L’homme n’est qu’un invité tenace de la mer.

Les saisons s’imposent, la survie suscite ses gestes. Mer Blanche les montre sans les expliquer ; la vie dans son travail de survivance. Au fond c’est de cela qu’il est question dans cette irréalité de nos gestes pour passer un jour de plus : de fantômes. Le roman, un récit de retours ? de revenants auxquels il faut donner une consistance, une sorte de « sérieux abyssale » plus que des larmes face à la mort, « ça devrait peut-être suffire, ce peut-être qui est le mantra dans la foi quotidienne du paysan pêcheur. » La reprise de l’existence, le retour des personnages des InvisiblesPourtant le regard poétique de Jacobsen a toujours un poids social : l’espoir et là, l’injustice perdure. On attend avec impatience d’accoster à nouveau à Barrøy



Un grand merci aux éditions Gallimard pour l’envoi de ce roman.

Mer blanche (trad : Alain Gnaedig,261 pages, 21 euros)

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