L’année du singe Patti Smith

Épiphanies, rêves, présences fugitives sans autres interprétations que leur effacement, délicat carnet de bord où lecture et poésie interrogent le réel, tout d’effritement, de notre monde. Avec une plume délicate, d’un joli dénuement, Patti Smith évoque doucettement la perte mais surtout ce qui y survit : des images et d’oniriques communications. L’année du singe ou la nécessaire possibilité de rendre compte d’une réalité alternative.

Un réel plaisir à retrouver Patti Smith, après Dévotion, dans ce nouveau livre qui opte franchement pour un onirisme donnant un allant tout romanesque à ce qui est loin d’être seulement un carnet de bord. Aura et présence, l’autrice est incarnée dans chacune de ses pages, vieille compagne qui nous renseigne sur nos propres vieillissements, sur nos inquiétudes sur le monde qui, depuis 2017 et l’élection de Trump, ne va pas franchement mieux. « Des injustices déchirantes constituant la nouvelle réalité de la vie. » Patti Smith tente alors un chemin de traverse, une très jolie conversation avec ses ombres. Une humilité vraie aussi, tout de retrait, elle observe le monde sans désir d’être reconnue, mène une vie modeste et nomade entre stop et fringues de récup. Une star se promène, incognito, seule, attentive à n’importe quels signaux.

Rien n’est jamais résolu. Résoudre est une illusion. Il y a des moments d’éclats spontané, quand l’esprit apparaît émancipé, mais ce n’est qu’une simple épiphanie.

Soudain un mot fait sens, une image apparaît, le réel serait sa redondance ou sa poursuite. Et ça fait, surtout, dans la première partie, un roman référencé, un jeu de labyrinthe sous le haut patronage de 2066. Ombre de Bolano, d’un écrivain qui disparaît aussi derrière sa maladie. Très bel hommage comme par appropriation, sans la moindre gratuité tant on comprend vite qu’il s’agit pour l’autrice de conserver une image de celle qu’elle voit en train de disparaître. Au chevet de Sandy Pearlman, dans le coma, les souvenirs surgissent, humbles et prégnants. L’année du singe revient aussi à se regarder disparaître, à en voir les signaux chez les autres. Patti Smith va fêter, dans ce livre, ses soixante-dix ans, elle regarde ses amis s’effacer. La maladie rattrape Sam Sheppard, il travaille avec elle à son ultime manuscrit. On pourrait y reconnaître, donc, Bolano. Mais comme dans un rêve. Toute la beauté de L’année du singe est de nous maintenir dans le flottement du rêve, son incertitude et le désir éperdu, au réveil, de le doter de sens. L’image la moins imparfaite de nos vies ? Tout part donc d’une photo, d’une variation de mots sans laquelle il n’est point d’épiphanie. Pour assister son ami dans le coma, perdu dans un rêve dont il ne se réveillera pas, Patti Smith va dans ce qu’elle appelle le Dream Motel, elle se met, comme Alice, à parler avec son enseigne où est écrit Dream Inn. À l’intérieur du rêve pour ainsi dire : Patti Smith entend parler d’enfants disparus, de papier-bonbon avec une révélatrice coquille. Elle croise Ernst, un exegèse halluciné de Bolano. Tout tient parfaitement sans doute par la traduction de Nicolas Richard qui parvient à doter de cette évidence onirique qu’a sans doute la version originale. Comme dans un rêve, comme dans nos vies, tout se délite un peu, seule la perte continue à étendre son emprise. « le problème avec les rêves c’est qu’on finit par s’éveiller. » et il nous faut composer avec cette folie (mortelle selon Artaud citer en épigraphe) qui s’est emparée du monde. Patti Smith parvient à nous le proposer comme un voyage immobile, une résistance par association d’images, la beauté de l’attention à ce qui survient. Il faut se laisser prendre à ce livre d’une magnifique mélancolie.


Un grand merci aux éditions Gallimard pour l’envoi de ce livre.

L’année du singe( trad : Nicolas Richard, 175 pages, 18 euros)

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