La littérature inquiète Lire écrire Benoît Vincent

Un essai qui vous remue, vous inquiète au sens qu’il continue à créer des échos et surtout ce processus d’indistinction, d’amalgame, entre lire et écrire dont Benoît Vincent poursuit les symptômes d’une prose alerte, enjouée tant les concepts qu’il pose, les hypothèses qu’il propose touche à la matérialité même de la langue.

Pour commencer à évoquer ce livre dont je n’ai pas fini de vous parler, sur lequel sans doute je n’ai pas fini d’écrire, une réserve me revient. Finalement, nous approchons ainsi, je crois, la pensée de l’auteur : écrire c’est exprimer aussi une réticence dans l’appropriation, voire une ambivalence dans le sens des mots. Benoît Vincent donne un sens très textuel à l’inquiétude qu’il pourchasse dans ses lectures. On aime bien lire une inquiétude moins désincarnée, plus tripale, voire moins intellectualisée. Tout ce qui transforme, selon la très belle formule de Leiris, l’angoisse en mélancolie, tout ce qui touche en nous cette réserve d’être, cette peur primordiale, cette difficulté d’être. La littérature inquiète lui donne un visage plus souriant. L’inquiétude serait « la violence du monde dont la littérature est le compte-rendu », elle serait également « l’expérience interstitielle de la fuite. Ou du pli. De l’entre-deux. » Occasion d’ailleurs de toucher un mot sur le style de l’auteur tant sa façon d’écrire, pour coller à son sujet, est révélatrice de sa manière de lire. Ou l’inverse bien sûr. Benoît Vincent use de phrases nominales pour ajouter des strates de sens, inventer des dérivatifs de sa pensée, créer des échos à son propre texte qui seraient les symptômes de son inquiétude.

C’est peut-être une autre définition du roman : c’est se refaire. C’est se remettre d’aplomb tout en se faisant passer pour quelqu’un d’autre.

Admirable définition du roman. Il faut le dire : ce livre ouvre tant de belles pistes, offre des hypothèses des plus intrigantes. Commençons par celle-ci : pour paraphraser Vila-Matas dans Cette brume insensée, Maurice Blanchot adviendrait à l’écriture dans sa part pynchonesque. Il serait de fait une multitude d’écrivains réunis par Jean Paulhan pour définir, effacer aussi qui sait, le dernier écrivain. J’aime beaucoup l’idée et ait donc suivi avec beaucoup de plaisir cette communauté entre écrivain, cette sorte assimilation dont l’auteur retrace le parcours comme on se crée des filiations de traverses. De Paulhan (les pages sur cet auteur sont lumineuses) à Blanchot pour arriver à Quignard. En passant bien sûr par Bataille et, j’ose inviter l’auteur à y réfléchir, Leiris par l’inquiétante proximité entre un livre comme Jacob Cow le pirate et Glossaire, j’y serre mes gloses. Passons. Mais à l’instar de Benoît Vincent insistons sur l’importance de l’espace de publication dans le façonnage de la pensée. Dans une tradition assez universitaire, La littérature inquiète est un ensemble d’article pour lesquels l’auteur invente une communication. Un lien. Une esperluette. Lir&crire, le même geste, la même recherche de ce qui revient, de ce qui ne passe pas, « l’établissement d’une espèce de rapport, proche de celui du miroir, mais dans l’ordre de la pensée, entre soi et soi ; entre soi et soi écrivant. » La réflexion est toujours spéculaire, le miroir d’encre révèle ce que l’on peut y voir, de toutes les béances dont la statue de l’auteur (sans autorité) serait de les révéler. « Que cette lecture qui nous est proposée est indissociable de l’écriture ; que par ailleurs l’écriture était aussi une lecture et notre lecture une écriture. »

Voilà l’écrivain débusqué : une machine à désirer le corps de la langue, elle qui agit dans l’ombre, dans l’ombre du secret et de la limite même de la langue, ses gouffres comme ses murs, littéralement entre les lignes.

Écrire serait alors parler de quelqu’un d’autre comme s’il était soi, comme pour y saisir ce que l’on ne saurait y reconnaître. Benoît Vincent me pose alors une question : ses lectures & écritures se focalisent sur ce que je pourrais qualifier d’écrivains du commentaire, pour le dire ainsi ce moment littéraire des années 2000 2010 autour des éditions Verticales. Pierre Senges, Nicole Caligaris, Patrick Chatelier. Son inquiétude textuelle passe, me semble-t-il, par des écrivains que je trouve toujours un peu trop conscients de leur inscription dans un jeu de références, dont la prose est un jeu sur ses rappels. Pierre Senges (je connais fort mal son œuvre) en est un exemple parfait. Vous savez de ces livres que le lecteur doit construire, dont il se flatte de décrypter le labyrinthe. La question que me pose alors Benoît Vincent est la suivante : si ces livres me parlent, n’est-ce pas toujours d’une manière trop cérébrale, uniquement pour produire du commentaire, sans me toucher véritablement. Même si je ne vais pas me faire des amis (tant il est devenu une référence incontournable) c’est le cas pour Antoine Volodine si bien lu dans La littérature inquiète. Je comprends son univers, j’en saisis la construction, les charmes de son élaboration, de là à dire que Terminus Radieux m’a touché. Parlons alors plutôt du très bel article sur Claro, sur son rapport particulier au lir&crire face à la traduction. Parlons aussi de sa très pertinente interprétation du journal de Guillaume Vissac. Avouons d’abord que dire du bien de l’œuvre de son éditeur ressemble, au premier regard, à de la complaisance. Pourtant lire (on clique pour en découvrir le charme) le journal de Guillaume Vissac à l’aune de Blanchot est très productif. On retrouve alors Benoît Vincent, tel qu’en lui-même, disons face à l’inquiétude de savoir ce qu’est un écrivain. Peut-être quelqu’un qui, à travers le langage, continue à se le demander, à lire d’autres visages, d’autres incarnations.


Un grand merci aux éditions Publie.net pour l’envoi de cet essai.

La littérature inquiète Lire écrire (187 pages, 17 euros)

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