Nouvelles pensées de l’Amazone Natalie Barney

Aphorismes, poèmes autant de patientes descentes au cœur du sentiment amoureux, de ses variations saisies à la pointe d’une plume de moraliste. À revers de l’attendu, souvent, Natalie Barney signe une apologie critique des amours féminines, des mœurs risibles ou acerbes de la société où, à l’écart, elles s’inventent. Par son charme un rien suranné, par l’intemporelle pertinence de certaines de ses notations, Nouvelles pensées de l’Amazone est un bouquet charmant, piquant.

Le recueil d’aphorismes, de pensées éparses, de formules souvent brillantes se révèle souvent exercice d’équilibriste. Il s’agirait, pour le lecteur, d’atteindre à cette fragmentation de la lecture qui fut, sans doute, celle de l’écriture. Seule façon, peut-être, de toucher du doigt la pluralité de ce que nous sommes dans l’expression souvent contradictoire, au jour le jour, de nos opinions. Émouvant, souvent, la continuité qui s’y dessine comme malgré l’autrice, sans doute même au-delà des thèmes où elle regroupe, en des sortes, de chapitres, ses pensées. En dépit de son élégance Grand-Siècle, voire de la gratuité de certaines formules qui usent de l’antithèse comme on s’éprend d’une parole paradoxale, le premier – le plus anecdotique – des charmes des Nouvelles pensées de l’Amazone est de nous restituer toute une époque. Celle dont Proust décrit, avec la véracité de la cruauté, la fin, celle à l’ombre de laquelle les surréalistes évoluèrent. Entre lost generation et années folles, Natalie Barney tenait salon (l’expression à elle seule vaut marqueur d’époque). On ressent dans sa prose l’esprit (dans tout ce que le terme a d’acerbe) de cette mondanité exercée dans la distanciation, le silence aussi d’un regard à qui rien n’échappe. Comme elle dit, dans une de ses très belles formules que sont les trouées de ses poèmes : « Que je dois retremper au silence – les mots. » La vie est un masque, teatrum mundi. « Savoir moins ce que tu fais que ce que tu tais. » toute la pureté de la prose des moralistes tient à ce constat, ce goût masochiste de ce que l’on déteste mais dont on ne saurait faire l’économie. Je le disais, lire un livre d’aphorisme revient alors surtout à s’offrir le luxe de n’être point entièrement d’accord. La pensée : une réserve ; la sagesse un moyen terme, question d’équilibre difficilement discutable mais un peu terne. Disons l’ambivalence, en 1939, de se réclamer de l’individualisme, de ce qui parfois survient dans un détestable relativisme morale. Celui sans doute dont on peine à s’échapper : tout reviendrait à une expérience personnelle. « L’amour est le seul communisme auquel je crois. » L’aphorisme ou l’illusion d’échapper au système : Natalie Barney montre son anti-communisme très droitier. Bon. Nettement plus gênant, le grand anti-conformisme de sa pensée se laisse aller aux pires clichés antisémites. Notons d’ailleurs que la seule note de l’éditeur est pour le souligner. Autant interroger ce type de notations difficilement supportables : « On a toujours trop ou trop peu aimé les nègres.»

Les amants, comme les croyants, prennent leur désir d’un dieu pour l’amour d’un dieu.

L’essentiel, peut-être, n’est pas là. «Encore ici , mais non d’ici.» Nouvelles pensées de l’Amazone décrit surtout une mystique amoureuse, un « monde de spiritualité sensuelle. » Ce qui continue à toucher chez Natalie Barney c’est sa manière d’inventer l’amour pour l’absence qu’il est, le dépassement qu’il promet. Certes on se retrouve dans ce type de déceptives notations : « Se sentir un composé d’usures irrémédiables. » Mais, plus intéressante reste la manière « comment ses joies ressenties à la légère se transforment-elles en angoisse ? » Nouvelles pensées de l’Amazone tend alors vers une lucide poésie amoureuse. L’aphorisme est, on le sait, l’art du portrait, la capacité à dépeindre des caractères. Natalie Barney capte ses fugitives amours avec un sens très sûr de la formule. Ce seul exemple me paraît particulièrement parlant : « l’octave sensible de ses seins. » Au vu de son contexte et de son milieu, je ne pense pas qu’il faille accentuer un quelconque scandale de ses amours lesbiennes. Tout l’intérêt, je crois, de ce livre reste dans sa quête, à travers l’amour, d’autre chose. Sans doute de ce « sensuel spiritualisé pour qui le plaisir des sens n’est qu’un point de départ vers l’extase. » On pourrait alors finir comme on a commencé : Natalie Barney parle de son époque, de traits que l’on retrouve chez Crevel, de cet épuisement de l’amour physique, de cette matérialité qui, peut-être, mène à la métaphysique.


Merci à L’imaginaire Gallimard pour l’envoi de ce livre.

Nouvelles pensées de l’Amazon (201 pages, 9 euros 90)

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