2020 : l’année ou le cyberpunk a percé Mathias Richard

Itérations, altérations, mutations. Entre journal d’un confinement, récit d’une crise personnelle et collective, poésie et odes au hors-soi, à la joie, 2020 : l’année où le cyberpunk a percé est surtout l’écriture de ce désastre ordinaire, précaire, de la rigueur de la difficulté d’être. Mathias Richard affronte corps à corps la langue, ses possibilités, toutes les secondes de plus qu’elle offre.

Il est des livres qui invitent à des reconnaissances. L’auteur souligne d’ailleurs à juste titre à quel point lui ne se reconnaît pas, ou pas durablement, dans tous ceux qui prétendent partager non tant sa manière de vivre que sa façon de la mettre en vie. Une question sans doute d’intensité. « La seule justification d’écrire est que l’on soit issu d’une lutte totale pour l’existence. » Nous sommes de paisibles angoissés ; on compose et s’arrange, on traverse les crises à bas bruit, peut-être même dans le désir de ne pas trop en dire. Pour ne pas trop en contempler les tréfonds, au moment où nous le vivons j’ai décidé de ne pas parler de ce confinement, de sa sidération, prostration et agacement. On pourrait laisser croire qu’il en est sorti un livre : Un vide, en Soi. Nous n’insisterons donc pas sur tout ce qui nous a touché dans ce livre, nous soulignerons plutôt en quoi cela touche à un Soi, disons à un moi outrepassé. « Ce vide, cette envie, cette envide. » On pourrait alors attaquer ce livre par ce qui fut trop souvent le point aveugle de ce confinement : le social. Ceux qui sont sans statut prédéterminé, précaires hors-cases, savent que « chaque crise est l’occasion d’une accélération des formes les moins humanistes de la vie en commun. » Sans doute un moment de basculement, peut-être une autre façon de définir l’événement. Une pensée idiote qui pourtant continue à éclairer notre maintenant, la poursuite de ses paniques. Si « survivre, c’est assister au désastre un peu plus longtemps », il me semble que chaque crise, chaque bouleversement collectif, sert aussi de révélateur à toute la panique personnelle que l’on y investit. Miroir de nos peurs jusqu’à ce que survienne ce qu’on avait pas prévu. Voilà longtemps que ça dure, la folie. Que l’époque nous contraint au repli, chacun dans notre trou à tenter de survivre. 2020 : l’année où le cyberpunk a percé est aussi ceci, le journal d’une survie, la terrible matérialité à laquelle la réduit la pauvreté. La rigueur de vivre hors-cadre, la vie artistique. Faut voir les conditions de logement quand on décide d’habiter en poète ! Le bruit partout, la musique nulle part en soi quand la distanciation sociale souligne la promiscuité de la pauvreté. La santé qui se détériore, l’isolement qui commence bien avant le confinement. On en sortira donc jamais.

et il se trouve que dans ma tête il y a des trous où personne ne fait attention, où personne ne regarde tellement tout le monde est distrait.

Au fond, il faudrait admettre qu’on s’en fout un peu d’un journal de confinement (une folie chasse l’autre). Ce qui m’intéresse vraiment chez Mathias Richard c’est sa façon d’«écouter l’indicible avec soin. » Avec une grande intensité, de celle qui le rapprocherait d’un Christophe Esnault, de celle qui surtout impose une perpétuelle mutation. Quel lecteur ne se reconnaîtrait pas dans ce type d’affirmation : « je ne peux pas être la personne que je suis, tous les jours je me demande qui d’autre je devrais être. » Des identités d’emprunts à travers les mutations de la langue. Tempête dans un weirdo. « Le monde humain est la mauvaise copie de lui-même. » Mathias Richard parvient à s’en amuser, à en détourner la mécanique dans une altération festive. Une lettre change et une bifurcation s’ouvre, subsiste malgré tout la possibilité de la joie, du collectif dans cette idée qui profondément touche cet étranger à moi-même qui ici écrit : « Être hors soi-même, et qu’on soit tous hors de nous-même, ensemble. »


Merci à l’auteur pour l’envoi de son livre.

2020 : l’année où le cyberpunk a percé (66 pages, 10 euros) Éditions Caméras Animales. Le livre est acheté ici.

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