Mascaro, le chasseur des Amériques Harold Conti

Ombres et inventions de la vie du cirque, apologie de l’errance, de ce bricolage perpétuel de la vie d’une troupe, de tout ce que pourrait cacher (de solitude, de politique) ce ramassis hasardeux de talents et de dissimulation de ce , somptueux et minable, cirque de l’Arche. Mascaro, le chasseur des Amériques allie discrètement l’apologie burlesque de la création artistique à son ombreuse possibilité de résistance. Conteur merveilleux, créateur d’un univers entre écarts et flamboyance, Haroldo Conti enchante de sa prose magique, inquiète bien sûr.

On continue à découvrir, à vous faire découvrir espérons-le, les publications des éditions de La dernière goutte avec cette bien belle découverte qu’est l’œuvre d’Haroldo Conti. Une sorte de surprise, sous un air de chacon, on se laisse emporter par ce qui ressemble d’abord, à un univers de conte de fée. Ce qu’il faut d’écart pour un émerveillement. Une façon de chute dans, après de longs développements, une phrase nominale vient clore sur une note incertaine ce qui jamais n’est tout à fait un enchantement. Ou pas seulement. Confraternité du génie et de l’idiotie. Au contact d’un paradis perdu l’instant suivant ; le voyage pour ses départs, ses capacités de réinvention, son exigence de se cacher derrière de nouveaux masques. On est un Prince, on se laisse prendre, un peu, à sa propre duplicité. On voudrait partager cette folle confiance dans la création artistique. On suit les aventures d’Oreste Antonelli « ou plutôt Oreste tout court. Un vagabond, presque un objet. » Sans le moindre doute une incarnation du lecteur qui oscille entre le désir de savoir, d’entrer dans la coulisse du cirque, et de se laisser captiver par l’illusion circassienne.

Le Prince l’encouragea à persévérer dans son effort car la poésie n’est pas seulement une affaire d’ornement mais une constante de l’âme qui peut, de cette façon, vagabonder comme lui-même le faisait à pied et au prix de grandes fatigues, car un poète est ce que l’esprit à inventer de plus capricieux, un personne fulgurante, une personne fulgurante puisque les hommes doivent vivre et mourir en vers.

Le cirque, art de l’illusion ; le roman itou. Splendeur et misère d’une compagnie de cirque qui double un mouvement d’initiation du candide Oreste qui peu à peu, sans doute sans hasard, devient transformiste, rejoue assez ironiquement le souvenir enfantin d’une visite au zoo avec son père disparu. Une compagnie de va-nu-pieds pour ne pas dire, dans un autre contexte, de clochards célestes. Une description enthousiasmante de nos façons d’être captivé par le spectacle de magie qui consiste à détourner l’attention. Sous la plume, pleine de sous-entendue et de brillance, de transmuer la misère, la pauvreté, en un instant mirifique, fulgurant. Une fugue qui est toujours une fuite qui n’est jamais bien loin d’une traversée du désert. Une projection mentale. L’arrière-pays argentin, exemplairement dans Les nuages de Juan José Saer est une représentation, les confins de l’errance, les limites de la folie. La troupe accumule les succès équivoques au milieu de nulle part, le roman dit aussi la dévastation des territoires abandonnée. La beauté de la marge. Immense est notre besoin de croire. Notre capacité à accueillir l’illusion sans doute est révélateur de notre pauvreté, de notre isolement. Avec un peu de facilité peut-être, ici on l’appelle inquiétude métaphysique. Dans Mascaro, le chasseur des Amériques elle passe d’abord par une princière exaltation. Tout commence quand Oreste rencontre le Prince. Bien sûr celui-ci veut lui transmettre sa souveraineté, lui apprendre derrière les masques à devenir lui-même, à abandonner les oripeaux de sa sédentaire servilité. Ombrageux enchantement. Tout aussi bien le Prince est un pauvre type, un pitoyable montreur de baleine comme dans La mélancolie de la résistance. On se moque de sa faconde, de son éloquence tirée d’un manuel. Les merveilles d’un bonimenteur. Description amoureuse comme alors hystériquement attachée à la certitude que rien ne pourrait allez autrement des représentations du cirque. Les flatulences du lion, les vertiges du trapézistes, les multiples rôles tenus par chacun. Mais, vite, déjà, il convient de s’en aller avant que soit percer cet art de truqueur.

Et le cirque, soudain, apparaît dans toute sa sédition. Des envolées. Rien jamais ne sera plus pareil quand on nous rappelle qu’autrement le monde pourrait être. Sans doute le roman, un art de foire, entre dérision et illusion, sert aussi à cela. Le contre-jour de l’équivoque. Donner un nom à la disparition. Comprendre la place de l’ombre éponyme qui hante le roman. Oreste embarque dans un navire, une brinquebalante coquille de noix fort justement baptisée Le lendemain. Il y rencontre, avec le Prince, Mascaro. Il apparaît et disparaît dans cette troupe errante dont, qui sait, il justifierait le mouvement. Derrière l’humour, à l’instar de Rodrigo Fressan dans Esperanto, on entend un contexte politique : l’Argentine et ses disparus. Ultime tour de piste. Oreste, comme le lecteur, finit par se demander s’il ne trempe pas dans un complot. Toujours on pourchasse la liberté. Jamais, elle ne devrait se prendre au sérieux. Une bien belle découverte.


Un grand merci aux éditions de La dernière goutte pour l’envoi de ce roman.

Mascoro, le chasseur des Amériques (trad : Annie Morvan, 21 euros, 380 pages)

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