
Sept voix dans la nuit, 4h18 à Londres, on est paumé, seul et sans sens : contemporaine colère. Kae Tempest déroule son texte, ses sonorités puissantes, ses collages de pertes et de défonces, d’anéantissements salariales et de fatigues quotidiennes. Qu’on leur donne le chaos pourtant ne cède pas à la résignation : dire ses existences suffirait, qui sait, à restaurer, à inventer, leur capacité d’amour.
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On m’excusera d’avancer doucement dans ce texte : au fond, je ne sais que penser de ce texte, sans doute voudrais-je aussi suspendre mon jugement, maintenir l’incertitude. On pourrait alors dire ceci : l’absence de toute instance narrative. Une parole faite d’écoute seule. Le style en ferait le jugement. Alors, donner à entendre la vide, rapiècement et ressassement, des pensées insomniaques. 4H18, le moment où s’entrecroisent les incertitudes si révélateur de ce chaos du monde dont Kae Tempest parvient à faire une force vive. « Nous ne sommes pas la tempête redoutée, finale/Nous sommes seulement vos amis joueurs/vent violent/de la fin des temps. » Même si on avait été plus touché par la place du mythe que Kae Tempest laissait surgir dans Étreins-toi, on entend dans Qu’on leur donne le chaos cette petite musique, cette rengaine, ce flow, cette rumeur du monde. Souvent on songe, sans rien en savoir au fond, que la littérature anglaise a décrire la vie ordinaire, sans misérabilisme ni distanciation, comme une expérience vécue. Kae Tempest saisit des personnages par quelques bribes de pensées, par le partage du désarroi, l’enfermement dans une insulaire forteresse oublieuse. Angleterre. Festive et frelatée ivresse, la conscience de soi, de la perte de sens, assez mal s’y abolit. Les insomnies de ceux qui se lèvent tôt. La domination a différentes formes. Saisir le jeu de patience de la vie dans son défilement, l’irréalité de nos vies dans leurs chaotiques désirs. Rien que des instantanées. Au fond, on ne sait qu’en penser.
Un grand merci aux éditions de l’Arche pour l’envoi de ce livre.
Qu’on leur donne le chaos (trad Louise Barlett et D’de Kabal, 80 pages en français, 70 en anglais, 17 euros 50)