La reconnaissance Emmanuel Régniez

La vie comme un jeu, une répétition sérielle, la reconnaissance d’un premier amour qui ne vient pas, — synchronicités et autres revenances d’une vie fantomatique, en quête d’elle-même. Emmanuel poursuit, reprend, dispose autrement, sa réflexion sur nos masques autour de l’abîme, les dissimulations de nos lucidités, nos fusionnels désirs inassouvis, nos fugues. La reconnaissance se présente comme un habile récit plein de réminiscences, de paris, d’effleurement de l’amour, du possible, de la présence au monde.

On suit avec une certaine attention le travail d’Emmanuel Régniez, on aime l’aspect gothique, disons, de son œuvre : la poursuite des pulsions, la permanence des obsessions. Sans doute parce que nous ne pourrons pas en dire, par ignorance, grand-chose, on entend ici, après Au bord du lit qui évoquait les dernières heures de Claude Debussy, l’importance non tant de la musique que de sa reprise, ses leitmotivs et ses silences. Pas un hasard, j’imagine si le texte est encadré d’une partition de Satie (qui commande à l’immobilité) et une autre de John Cage. Avouons avoir été déstabilisé, avouons aussi, on l’a déjà dit que c’est une des raisons pour lesquels on continue à lire Emmanuel Régniez, par sa reprise, mot à mot ou presque, de son court poème narratif Le joueur. La même situation de départ pour en varier, un héros qui s’efface, se cache derrière ses masques, se réduit à un joueur. Le soir de trop,  « Ce moment qui suspendait le passé et le futur, ce moment présent qui allait tout faire basculer, et le passé et le futur. » L’instant littéraire, en bref. Toujours à venir, toujours hanté, séparé ici dans un point de vue différent. L’effleurement d’un souvenir amoureux adolescent, la promesse de ce qui aurait pu devenir une histoire d’amour. Une main qui n’est pas prise, un chemin que l’on ne parcourt pas. Simon, le narrateur joueur, rencontre, fauché, au bord de l’abandon, Clarisse qui lui propose un dernier jeu : un an avec elle pour voir si elle parvient à susciter, à réactiver sa reconnaissance. On le comprend, elle est la jeune fille qu’il aurait pu aimer. Entre eux, tant de silences perdurent. « Il ne nous reste que des fantômes métaphysiques. » Dans La reconnaissance ce qui captive n’est pas tant la trame évidente, entendue presque comme s’il fallait, dans une optique proustienne, retrouver nos primes amours, se laisser hanter par leur reproduction, la reconnaissance possible dans ceux qui suivent. Un peu facile de le dire ainsi, ce qui perdure ce sont les silences et les fêlures. Disons tout ce que le narrateur ne veut pas dire sur son enfance. « Mon passé est un mort vivant qui craint la lumière. » On pourrait alors penser à l’exploration pulsionnelle quand livre Une fêlure. Si un peu trop on se confiait aux précédents romans de l’auteur, on interrogerait l’aspect incestueux de ses amours. Pensons surtout à Quignard et à ce mythe, cette rémanence donc, des retrouvailles, de la reconnaissance qui jamais entièrement se fait. « Nous n’avons pas de passé, parce que nous sommes le passé. » Virtualité, un jeu mélancolique où l’immanquable perte s’appelle trop tard.

Peut-on exister à moitié ? Existe-t-on à moitié ? Et si oui, où est l’autre moitié ? Que devient l’autre moitié ? Qu’est devenue l’autre moitié ?

Peut-être doit-on alors le dire fort simplement : ce qui m’a profondément touché dans ce livre est cette impression de ne pas vivre sa vie, d’en attendre en permanence une autre. Pas une nouvelle comme le distingue avec justesse l’auteur, rien qu’une autre. Nous sommes souvent fantômes à notre propre vie. Peut-être serais-je moins (si tant est que je puisse croire avancer un avis personnel) qu’Emmanuel Régniez sur cette part manquante, sur l’amour fusionnel censé la combler, la décevoir donc. « L’attente. Ce que l’on attend, ce qui n’arrive pas. Ce que l’on espère, qui n’arrive pas. » Le motif qui, peut-être, pousse à écrire, à dire autrement, à reprendre. L’amour n’a rien d’un discours inédits : « Toutes les histoires sont déjà écrites et toutes les vies déjà vécues. » Alors, avec nos maigres capacités musicales, il faudrait dire l’admirable musicalité avec laquelle l’auteur compose son récit. Ce qui revient d’un livre à l’autre d’Emmanuel Régniez devient la matière même du livre, ce qui est en jeu en son sein serait-on tenté de dire hors de l’exécrable jeu de mot. La rencontre est rejouée, l’instant — 21h32 — où l’on perd tout aussi. L’invention d’un secours, qui sait. On aime beaucoup la dernière idée : Clarisse envoie, à sa propre adresse, des cartes postales à Simon, il ne les lira pas. Là gît la possibilité de l’amour.


Un grand merci à l’auteur pour l’envoi de son roman.

La reconnaissance (119 pages, 16 euros)

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