Un père, un fils, deuil et culpabilité, le Suffolk enneigé, traverser les épreuves dans une forme de survie animale. Le récit de Midwinter évolue dans ce décor superbe et ordinaire. Fiona Melrose sait s’effacer derrière son histoire dont elle rend discrètement les naufrages, les incompréhensions et surtout, avec une infinie délicatesse, nos façons de nous enfermer dans une déplorable image de nous-mêmes. Un superbe premier roman.
Midwinter dans une prose transparente, concentrée et sans cliché, parvient à rendre habilement la manière dont nos vies s’enfoncent dans des structures similaires. La scène d’ouverture de ce roman sensible nous plonge dans une symétrie dont Fiona Melrose aura le bon goût de ne pas abuser. Elle conduit son récit par un enchaînement des voix de Vale (le fils) et de Landyn (le père).
Sorti de pub, Vale emprunte un bateau sous la tempête. Prévisible naufrage, la presque noyade de son ami Tom le plonge dans une culpabilité peu ou prou équivalente à celle de son père. Midwinter se lance alors dans une autre interruption du récit pour nous décrire, avec cette précision reconstruite des souvenirs, les raisons d’un exil en Zambie et surtout ses fâcheuses conséquences. Cessons de paraphraser l’intrigue pour noter que sa polyphonie lui donne un indéniable allant.
Il faut la vouloir, cette vie, pour s’y accrocher si fort, tandis que nous nous laissons lentement glisser vers la mort.
Reste à évoquer l’essentiel : le charme intangible de ce premier roman qui, sans frime, parvient à créer une atmosphère. Fiona Melrose ne cède pas aux sirènes du nature writing. Elle me paraît pourtant parvenir à recréer l’attraction exercée par un bout de terre à soi, l’envie juvénile d’en partir, l’illusion adulte de devoir y revenir.
Midwinter aborde des sujets graves mais sait, au détour de son décor donc, le faire sans pesanteur. Il est essentiellement question de deuil, de la façon dont nous composons avec nos ratages. Fort heureusement sans une once de pathos. L’endettement de Landyn dresse un portrait à peine esquissé de l’agriculture contemporaine. Par ses personnages secondaires, rudes et plein de compassion, (Mole, Dobbler et les frères Domino), Fiona Melrose livre un aperçu, sans doute en connaissance de cause, de la vie rurale. Sans aucune condescendance, sans pudeur non plus pour jamais en occulter la dureté. On est assez loin de la vision hallucinée de Jean-Baptiste del Amo dans Règne animal. Précisément car ces silhouettes donnent à cette communauté, étouffante et sans doute détestable, de cette décence ordinaire dont McIlvanney sait si bien rendre compte. Au détour de son récit, Fiona Melrose rend compte d’un contexte sociale. Tom, le frère coupable de Vale, subit une convalescence douloureuse auprès des vétérans d’Irak. Un traumatisme dont, au présent, la littérature parle déjà beaucoup. L’occasion pour moi de vous renvoyer à l’admirable Anatomie d’un soldat .
La lecture, éminemment recommandable, de Midwinter m’a plongé dans une sorte d’exotisme paradoxale. Pas certain d’apprécié autant ce récit à la simplicité tragique s’il s’était déroulé en France. Le Suffolk produit un étrange et familier dépaysement. Sans doute par la description immobile qu’en propose Landyn et dont Vale souligne le nauséeux enfermement. L’attachement qui se fait malgré soi. Il me semble d’ailleurs que l’évocation africaine fonctionne essentiellement sous le regard professionnelle porté par un agriculteur sur un climat et une faune incompréhensible à ses yeux.Là-bas, les rapports sociaux reçoivent un étrange traitement. Peut-être un rien caricatural. Mais, repris dans le récit, ils apparaissent comme une focalisation de la culpabilité : Landyn s’accuse d’avoir, par sa maladresse avec ses employés, fait tuer sa femme. Il ressasse ses souvenirs. FionaMelrose parvient à suggérer à quel point cette culpabilité est une façon, pour les deux protagonistes de s’apitoyer sur eux-mêmes. En laissant d’ailleurs entendre qu’ils n’ont pas d’autres issues. Peut-être.
À l’image de la scène inaugurale, Fiona Melrose sait quand s’arrêter lors du dénouement. Par le jeu de la polyphonie, elle donne à voir l’irrémédiable tragique de la mort d’un animal, la disparition de tous les souvenirs placé en lui, mais aussi le ridicule de ce sentimentalisme. Dès scènes assez dures dans leur caractère quotidien où l’émotion affleure. Une rédemption paraît possible, une acceptation de soi presque envisageable. Midwinter est trop intelligent pour l’affirmer ou, pire, les décrire.
Un grand merci aux Éditions de la Table Ronde pour cet envoi. Midwinter (trad Édith Soockindt), 291 pages, 22 euros, paraîtra le 8 février 2018
A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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