Les envoûtés Witold Gombrowicz

9782070411757

Sous ses allures de roman-feuilleton, de récit rocambolesque aux rebondissements rythmés, de roman noir paré d’une inquiétude fantastique, Les envoûtés annonce les obsessions de Gombrowicz. Des doublures du moi au cauchemar de la ressemblance, Gombrowicz interroge les motivations de nos comportements. On se laisse prendre à cette lecture dont  même les doubles fonds sont trompeurs.

Pas à une ambivalence prêt, Gombrowicz entretient un rapport ambigu avec ce roman écrit sous pseudonyme et paru, avant l’interruption de la guerre et l’exil de son auteur, en feuilleton. Un roman d’abord renié, écrit selon la version souvent trompeuse de l’auteur, uniquement parce que sa publication aurait été bien payée (!). Au dernier jour de sa vie, Gombrowicz l’a néanmoins incorporé à ses œuvres. Pour accroître le destin romanesque de ce livre, ses derniers chapitres se sont perdus avant d’être retrouvés.

Se plonger dans ce roman d’une lecture toujours plaisante, jamais aussi follement acerbe et insidieusement cauchemardesque que Ferdyduke, jamais aussi tranchant que la blanche accusation de La pornographie, semble d’abord expliquer ce reniement. Les envoûtés exploite tous les filons du roman populaire. Écrit en 1939, ce roman paraît alors presque d’un autre âge. Son contexte strictement polonais l’identifie à un roman français du XIXème. Château hanté, médium, crime dans une chambre close, toutes les figures obligés se pressent dans Les envoûtés. Néanmoins, si vous connaissez un tant soit peu cet immense écrivain, si vous avez eut la chance de vous plonger dans son Journal qui est un mausolée de mauvaise foi, d’intuitions géniales et, in fine, de cette sincérité qui peut-être n’apparaît que dans des détours, vous savez l’œuvre de Gombrowicz délicieusement piégeuse. Dans La pornographie, au titre combien trompeur et dont j’avoue n’avoir au fond qu’un très vague souvenir, l’objectif de Gombrowicz serait, selon son journal de

passer le monde au crible de la jeunesse, ; le traduire en langage de jeunesse, c’est-à-dire d’attirance… Fléchir le monde par la jeunesse… l’assaisonner de jeunesse afin qu’il se laisse vider.

Avec un remarquable savoir-faire, sans jamais perdre de vue la transparente simplicité de son récit, Gombrowicz laisse planer cette ombre sur son récit. Les envoûtés laisse la question de la contamination du mal apparaître sous l’angle d’un dédoublement fantastique, comprendre douteux et se résolvant à une question de point de vue.

Maya revient dans la pension de famille que les revers de fortune ont contraint sa mère à tenir. Monotone campagne polonaise que ne cessera également de décrire Les impliqués. Au loin un château, une parodie de roman gothique à lui tout seul. Pour se soumettre aux obligations du genre, avec cette ironie d’une délicieuse maîtrise, Gombrowicz use et abuse du récit enchâssé pour nous montrer que l’accès à l’intimité est toujours dérobée. Pour ne pas dire une dérobade. On se vole des lettres, on découvre des inscriptions et le vecteur du mal reste, possiblement, un crayon qui noircit les lèvres. La parole comme avilissement, la littérature comme façon  de s’emparer du mal pour lutter pied à pied. Sans doute pour des exigences éditoriales, Gombrowicz ne s’attarde pas. Notons néanmoins que son texte, pour une publication mercantile, est étonnamment libre. De cette profondeur trompeuse qui vous happe. L’indéniable grandeur de ce texte est de laisser le commentateur seul face à ces interprétations. Le fantastique, on le sait, c’est le doute. L’invraisemblance des péripéties recevra une explication rationnelle mais il en restera toujours une ombre, un « minimum inexpliqué ». Il est bon d’avoir à se demander si notre lecture ne se trompe pas de bout en bout.

La vie serait alors dépourvue de toutes les illusions qui font son charme. Il est agréable de songer les énigmes mais uniquement pour la joie d’apprendre et non pour faire triompher l’incrédulité.

Ne parlons pas ici des rebondissements de l’intrigue mais plutôt de son contenu latent nettement plus captivant. Maya embauche un prof de tennis. Tout une époque rendu comme un arrière-plan légèrement moqueur.  Ce prof, Walczak, montrera une insupportable ressemblance avec Maya. L’attraction et la répulsion entre en jeu. Même si je n’y comprends rien et n’y vois guère plus d’attrait que le base-ball longuement décrit par Paul Auster dans 4 3 2 1, le tennis devient une illustration parfaite de ce terme. Au passage si quelqu’un pouvait m’expliquer comment on peut tricher dans ce jeu d’affrontement et de complicité, de renvoi de domination.

L’envoûtement qui les surprendra fonctionne d’abord sur le lecteur. Nul besoin, c’est heureux, pour lui de croire dans cette prédominance spirituelle du mal. Gombrowicz s’empare de cette notion vieillie dans une belle distanciation. Surtout pour nous demander si le vecteur de comportement répréhensible n’est pas le mimétisme. Si Walczak peut voler de l’argent, Maya qui lui ressemble se sent autoriser à le faire et réciproquement dans l’incompréhension qui mobilise nos relations humaines. Le dédoublement pour s’accomplir s’adjoint d’une présence fantomatique. La partie réellement fantastique, château hanté et châtelain habité par la culpabilité du suicide de son fils, fonctionne parfaitement bien d’être outrageusement pragmatique. L’objet de la terreur, une serviette, laisse apparaître que le mal véritable serait de guetter l’héritage du prince, d’accroître sa folie toujours par la parole. Une conclusion laissée au lecteur de ce roman délicieux et suranné dont il reste l’atmosphère, une sourde inquiétude rendue par une langue qui parvient totalement à se faire oublier. Rendons grâce aux trois traducteurs pour cet exploit.

 

 

 

8 commentaires sur « Les envoûtés Witold Gombrowicz »

    1. Peut-être La Pornographie qui, en dépit de son titre n’a rien d’obscène sinon sa plongée dans la vie quotidienne. Tu peux tenter celui-ci. Son journal est assez génial.

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      1. alors évidemment si quand j’hésite entre deux titres, tu m’en proposes un troisième (sans compter le journal) !
        🙂
        je pense que c’est la bib municipale qui va décider, selon ce qu’elle a en rayon.

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    2. Peut-être sa pièce »Opérette », géniale réflexion sur le monde, si vous aimez le théâtre ? Une bonne façon de s’y intéresser peut être également de regarder le documentaire de Nicolas Philibert « La moindre des choses », qui raconte la mise en scène de cette pièce avec les patients de la clinique psychiatrique de la Borde. Mes élèves m’en parlent encore 5 après leur avoir diffusé en cours ! 🙂 le film est disponible sur you tube, et les sous-titres en anglais aident à la compréhension de certains patients dont l’élocution est parfois difficile à comprendre : https://youtu.be/CKJp9JLqTkY

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