Redemption falls Joseph O’Connor

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Les justifications de nos ratages et de nos amours. Dans une prose âpre, parfois trop plurielle, Joseph O’Connor nous plonge dans l’Amérique post-guerre sécessionniste. Redemption falls décrit le déchirement d’un homme, le faux général, O’Keeffe de sa femme Lucia, d’un enfant soldat cherché par sa sœur. Toujours à son obsession de la trace, de la vérité de la fiction, O’Connor plonge dans la mémoire d’une très difficile reconstruction. Un grand roman.

Avouons d’abord que si je n’appréciais pas tant l’œuvre de O’Connor, peut-être aurais-je achoppésur l’impression factice d’un chaos savamment organisé du début de O’Connor. Avec la simplicité venue de l’humilité, je sais O’Connor capable de nous porter dans l’ordinaire de nos drames comme il le fait avec une tension minimaliste dans Inishowen ou encore dans la patiente élaboration d’un mythe d’une célébrité qui ne tarde pas à vous exproprier de vous-mêmes que dans le très rock et très renseigné Maintenant ou jamais.  Tout lecteur connaît pourtant la tentation d’épuiser l’intégralité de l’œuvre d’un auteur. Une présence rassurante, un imaginaire de secours qui vous empêche d’être tout à fait déçu.

Les cents ou cent-cinquante premières pages de Redemption falls sont plutôt difficiles à avaler. D’abord par une très grande fragmentation narrative entachée, semble-t-il d’emblée, par un jeu sur une typographie western vaguement inutile. De courts chapitres avec à chaque fois un nouveau personnage, une apparente absence de solution temporelle. Le lecteur ne sait jamais tout à fait où et quand il se situe. Ensuite, par un défaut, à mon sens, qui perdurera tout au long du roman. O’Connor anime ce roman d’un souci de vérité dont il joue avec une ironie. Sans trop dévoiler l’intrigue (son retournement finale paraît peu prévisible) disons, pour guider la lecture, que le narrateur s’avère le, faux, neveux de Lucia. Un historien monomaniaque qui insère, avec beaucoup de drôlerie, sa présence par des notes de bas de page. Le souci, à mes yeux, est la retranscription verbatim de tous les propos des différents témoins de cette histoires pleines de mystère mais limpide, tragique, in fine. O’Connor s’attache alors à singulariser chaque point de vue. Notamment par une orthographe phonétique. La reproduction un peu factice d’accent.

Autre réticence pour ce roman qui pourtant a finit par totalement me happer : son sujet. Je vous le disais à propos de Bison de Grainville : les histoires d’Indiens m’indiffèrent ; ceux de cow-boy ne me captive pas. Redemption fall est un avant-poste, un lieu insitué de la conquête de l’Ouest. Sa violence, son individualisme, ses mythologies me paraissent totalement éculés. Heureusement, comme le dit O’Connor dans sa lumineuse postface, ce qui l’intéresse ce sont les manières de survivre à l’absence. À l’irlandaise bien sûr.

La guerre de Sécession américaine est un sujet dont j’ignorais tout. Redemption fall trouve un angle décentré pour nous en parler. L’engagement des Irlandais dans les deux clans. Surtout dans celui sécessionniste. O’Connor souligne alors la réalité si bien mise en lumière par Daniel Mendelsohnn dans Les disparus : toutes les guerres sont fraternelles. Une épreuve de cette trahison de soi que connaisse tous les personnages. Le roman excelle à en rendre l’opacité, les motivations psychologiques toujours aussi hasardeuses.

Il ne faut pas trop en dire. Même si O’Connor paraît parfois repousser un peu trop la révélation du caractère de ce si beau et complexe personnage de O’Keefe. Assez amusant que l’auteur témoigne s’être très vaguement inspiré d’un personnage réel pour le créer. O’Keefe selon une tradition ayant marqué, de Vautrin à Valjean, tout le XIXème romanesque, est un ancien bagnard. À Hobard pour sa lutte pour l’indépendance irlandaise. Son évasion serait un acte héroïque. Redemption falls en éclaire lentement non la fausseté mais la construction. Une première épreuve à laquelle O’Keefe ne survivra pas réellement. O’Connor en suggère toute la douleur. L’ironie tragique d’une note de bas de page indique le trop tard de cette rédemption espérée. Elle finira dans un bain de sang, des poèmes douloureux écrit par sa femme. Second et magnifique personnage de ce drame avant tout intime.

Toute chose vivante peut s’échapper du corps. Voilà pourquoi il y a des poèmes, des récits, des chansons, des boissons, des églises, des oratorios, des enfants. Voilà pourquoi il y a de l’espoir de ce qu’on appelle l’amour. {…} Pourquoi les couples restent ensemble quand l’amour s’est éteint. Parce que nous ne pouvons demeurer seuls dans la pierre.

Nous touchons-là au centre de ce très beau roman. O’Keefe et Lucia se déchire. Deux monde s’oppose. Une frontière qui me semble encore définir les mythographie états-uniennes. L’appel de la sauvagerie, la wilderness d’une part et de l’autre l’inscription dans l’Histoire, le solide, la revendication parfois exagérée à la culture (d’une sentimentalité confinant à la sensiblerie de l’autre). On retrouve cette opposition dans le très beau (et pareillement difficile au début à appréhender) Et quelques fois j’ai comme une grande idée. Lucia est d’une grande famille, O’Keefe un aventurier au passé douteux. Attraction très physique d’abord ; haine ensuite dans les retombées de la passion. Histoire classique peut-être. Indépassable sans doute.

Car lequel d’entre nous ne préférait pas faire l’amour plutôt que lire ? En vérité à quoi sert la lecture si ce n’est à nous apprendre à mieux aimer ?

Nous n’aurons pas ici une histoire d’amour. Plutôt la persistance de l’absence : serait-ce sa forme achevée ? Plutôt une très fine interrogation sur les façons de reconstituer le passé. À la lecture, j’ai parfois songé au Monstre de Templeton de Lauren Groff. O’Connor nous propose une plongée dans le passé familial. Mais à travers une voix qui se révélera de plus en plus mensongère. « Mais les ressouvenances teintent les faits de folies et de fantasmes. À la vérité, c’était un garçon ordinaire. » Le narrateur lui-même est peu fiable. Il nous raconte l’histoire du garçon qu’adoptera O’Keefe. Un jeune tambour jeté dans la guerre, sa sœur le cherche et se joindra, à son corps défendant, à une bande de desperado qui incarnent la survivance acharnée du temps d’avant. Une sorte de nostalgie pour ce qui ne sera pas un endroit où aller comme le montrait déjà Penn Warren dans Un endroit où aller. On pense, bien sûr, aussi à Faulkner. Les Territoires ici décrit, les badlands curieusement traduit en français, sont ici avant tout imaginaires, en attente d’une cartographie qui leur offrirait un nom stable et une emprise étatique.

La cartographie comme euphémisme de la conquête, la représentation comme domination. L’autre personnage assez fascinant est alors celui du faux cartographe. Amant un instant de Lucia, il arpente ses territoires et donne un témoignage biaisé mais qui donne une cohérence sensible à l’ensemble. O’Connor parvient alors à mettre à nu, comme on dit, les sentiments de chaque personnage. De l’extérieur sans doute paraissent-ils un rien faux, animés de violence et d’apitoiement. Mais sans doute n’en différons-nous guère.

Notons aussi la façon dont O’Connor chante une survie populaire, celle qui passe par des chansons. Le roman américain, particulièrement chez Thomas Pynchon est hanté par ces présences. Les rengaines comme forme de survivance. J’aime y voir une référence cryptée : une partie de Redemption fall se construit par l’intégration de chanson créant le mythe du desperado Johnny Thunder. Allez savoir pourquoi, je pense alors à ce musicien halluciné dont l’ombre plane sur Maintenant ou jamais.

 

 

 

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